Cette opération d'inventaire topographique s'inscrit dans le cadre du programme Patrimoine Intégré portant sur le territoire du Grand Projet Urbain de Marseille (devenu Grand Projet de Ville), territoire défini comme prioritaire par le Ministère de la Ville en 1994 et qui recouvre l'essentiel des périmètres des 15e et 16e arrondissements de Marseille. Après une préfiguration d'inventaire portant sur le secteur des Borel (15e arrondissement), le périmètre d'étude choisi a été celui de l'Estaque-Les Riaux, à la demande de la ville de Marseille. Ce programme a associé la démarche scientifique et méthodologique de l'Inventaire Général et la démarche d'anthropologie urbaine appliquée à la mémoire collective et aux pratiques et représentations d'espaces.
Le secteur l'Estaque-les Riaux, situé à l'extrémité nord de Marseille, est atypique dans l'ensemble du Grand Projet de Ville : peuplé de 6 000 habitants, il ne comporte aucun grand ensemble. Le tissu urbain est constitué d'un habitat ordinaire des banlieues de la seconde moitié du 19e siècle et du début du 20e siècle et de grandes friches industrielles (depuis les années 1970). Mais des valeurs d'usage liées à l'activité balnéaire et des valeurs d'images liées à la peinture moderne le distinguent des quartiers voisins.
L'angle d'approche de l'Inventaire Général a été l'étude du processus d'urbanisation : comment est-on passé d'un quartier rural qui en 1819 comptait 328 habitants et 143 maisons sur le cadastre à une banlieue qui, dans les années 1930, a compté jusqu'à 13 500 habitants et 1 651 maisons ? Quels ont été les phases et les modalités du processus d'urbanisation ? Comment peut-on caractériser ces diverses formes d'habitat ? Qui a construit ? Pour qui ? Quand ?
Le Service Régional de l'Inventaire et l'Agence d'urbanisme de l'Agglomération Marseillaise ont conduit cette étude de l'architecture et de l'urbanisme. D'une part, pour l'AGAM, Hélène Balu a été chargée du suivi du projet et Agnès Fuzibet, architecte, a effectué un repérage exhaustif du bâti jusqu'aux années 1970, en plusieurs campagnes entre 1998 et 2003. Ce repérage a donné lieu à 1 678 fiches informatisées qui ont alimentée un SIG, réalisé par Gérard Romano. D'autre part, le Service Régional de l'Inventaire a effectué un dépouillement des cadastres à partir du levée de plan de 1819, par la méthode régressive afin de pouvoir attribuer des dates et des modes de constructions à chacun de ces édifices. Ce travail a abouti à l'élaboration d'un fichier informatisé, lui aussi lié au SIG, de 1 683 fiches dont 1 068 datées à l'année - avec les limites inhérentes à la source cadastrale. Le service a réalisé les photos et les relevés de l'étude qui est constituée de 198 dossiers architecture et de 25 dossiers mobilier.
Dans un second temps, les cartes des données datées, réalisées par le Service de l'analyse spatiale de la Région qui a repris le SIG de l'AGAM, ont posé questions : des incohérences apparaissaient dans les séries datées, les positions d'édifices sur l'espace de la carte étaient impossibles. Et ces distorsions étaient essentiellement localisées dans les secteurs impactés par la voie ferrée et les tuileries. La source cadastrale montrait là sa limite dans le cas d'histoire foncière très mouvementée (au moment de la création de la ligne de chemin de fer et de l'exploitation du moindre trou d'argile) sur un terrain où la structure de la propriété foncière est étroitement dépendante de l'histoire de familles locales qui semblent avoir été fortement endogames, multipliant les porteurs de même patronymes. Pour sortir de ces ambiguïtés, il a fallu recourir aux séries de l'enregistrement et aux sources notariales. Ceci a conduit à la rédaction de 18 dossiers architecture supplémentaires, portant soit sur des lotissements, soit sur des maisons et immeubles antérieurs pour la plupart à 1880. Des modifications, corrections ou compléments, ont aussi été portées sur des dossiers réalisés antérieurement.
L'étude a mis en évidence le processus discontinu d'urbanisation qui s'est opéré notamment par lotissements de friches industrielles dès le 19e siècle (lors du déplacement des premières tuileries), l'importance de la construction en série et des lotissements dans leur diversité ainsi que l'importance de la construction locative. Elle a aussi permis la datation et la caractérisation de formes très simples d'habitat tel les maisons de villes et les immeubles à logements. Elle a mis en évidence les stratégies différenciées de groupes sociaux : les tuiliers, après avoir construits de l'habitat en périphérie des fonds occupés par les tuileries artisanales, ont loti pour rentabiliser les friches, le groupe d'ingénieur et d'entrepreneur lié au chemin de fer établit des villégiatures en balcon qui gèlent la construction jusqu'aux divisions successorales qui génèrent des secteurs résidentiels, les collines sont le domaine de l'habitat pavillonnaire à partir de l'entre-deux-guerre.
Les premières restitutions sous forme d'expositions ont eu lieu à l'Estaque portant sur le quartier de l'Eglise et sur une forme d'habitat, les courées. Des interventions dans des colloques et séminaires ont présenté quelques aspects de ce travail.
Photographe au service régional de l'Inventaire de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 1970 à 2006.