Dossier d’aire d’étude IA04002348 | Réalisé par
Buffa Géraud (Contributeur)
Buffa Géraud

Conservateur du Patrimoine au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 2004 à 2017.

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  • inventaire topographique
présentation de la commune de Barrême
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  • (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

  • Aires d'études
    Pays Asses, Verdon, Vaïre, Var
  • Adresse
    • Commune : Barrême

La commune de Barrême est située au carrefour de deux importantes voies de communication : la RN 202 qui relie Digne à Saint-Andrée-les-Alpes et, au-delà, à la haute vallée du Verdon et l'ancienne RN 85 (la "route Napoléon") entre Digne et Castellane, porte des Gorges du Verdon. Près du village se rejoignent les trois Asses : Asse de Clumanc au nord, Asse de Moriez à l'est et Asse de Blieux au sud. Ces trois Asses forment alors L'Asse, ou rivière des Asses, affluent de la Durance.

Située sur le territoire de la Réserve géologique de Haute-Provence, la commune est très riche en fossiles d'ammonites. Elle a donné son nom à un étage du Mésozoïque (ou ère secondaire) : le barrémien (4e étage du Crétacé inférieur).

La plus ancienne mention de Barrême remonte au début du 11e siècle, dans un épisode de la vie de saint Isarn, abbé de Saint-victor de Marseille, qui relate l'incendie qui ravagea le bourg castral de Barrême. En 1226 ou 1227, dans un hommage rendu par Boniface de Castellane au comte de Provence, Boniface reconnaît la suzeraineté du Comte sur le castrum de Barrême. Il s'agit vraisemblablement du bourg castral situé sur la hauteur de Saint-Jean, dont les vestiges de fortification peuvent précisément remonter au 13e ou 14e siècle. Le déperchement s'est fait progressivement, du 11e au 16e siècle (voir dossier village de Barrême).

A la même époque, un autre bourg castral, sur la hauteur de Puy-Saint-Pons (à 500 mètres au sud du bourg castral de Barrême) est donné par l'évêque de Senez au Comte Raimond Bérenger V. Mais ce bourg n'a pas perduré en tant que hameau habité.

L'habitat est resté groupé, concentré essentiellement dans le village. Le plan cadastral de 1838 ne signale que deux hameaux : Arbitelle dont ne subsistent aujourd'hui que des ruines et Gévaudan, dont l'existence est attestée à la fin du 14e siècle, organisé en paroisse autour de l'église Sainte-Anne.

Organisation du territoire et économie

Basses-Alpes. - Barrême. / Entrée de la ville. - Pont sur l'Asse. Sur cette ancienne carte postale, on voit les vergers en terrasse sur les pentes au-dessus du village, actuellement occupées par des bois.Basses-Alpes. - Barrême. / Entrée de la ville. - Pont sur l'Asse. Sur cette ancienne carte postale, on voit les vergers en terrasse sur les pentes au-dessus du village, actuellement occupées par des bois.Les cultures attestées sur le territoire :

- cultures céréalières jusque vers 1850 (blé, orge, froment, méteil)

- culture du chanvre

- polyculture fruitière, surtout la prune, attestée au 18e siècle par Achard, mais aussi les pommes, poires, pêches, amandes jusqu'au gel de 1929. Cette activité importante a laissé des traces dans le bâti où subsiste un grand nombre de séchoirs, notamment dans le village.

- les noix dont on faisait beaucoup d'huile

- la vigne

Sous l'Ancien Régime, la culture de la vigne est attestée au 17e siècle. 1"Nos vignobles étaient alors exploités sur une assez vaste étendue du terroir pour être l'objet d'une mesure administrative générale. La preuve en est, par exemple, que le 30 septembre 1674, le conseil décida et fit publier que les vendanges seraient différées jusqu'au 8 octobre suivant, contre l'intention de quelques particuliers qui se proposaient de commencer dès le 1er de ce mois". Un toponyme, les Vignes, au nord-est du village, témoigne aujourd'hui encore d'une pratique agricole révolue : le coteau, exposé au sud-est, permettait un ensoleillement maximal, sur une déclivité allant de 750 à presque 1000 mètres d'altitude. Le vin produit était de consommation locale essentiellement. A partir de 1870-75, le phylloxéra a entraîné l'arrachage des plant et a favorisé le passage à d'autres types d'exploitation.

- l'élevage ovin limité en nombre

-la lavande, puis le lavandin depuis les années 1880, jusque dans les années 1960 : voir infra.

Au 18e siècle, Achard signale encore comme activité la plus lucrative le commerce des toiles et des étoffes de laine.

Barrême, capitale du Pays de la lavande

Le village de Barrême est, au cours du 20e siècle, le théâtre d’une importante activité de distillation de la lavande. Dès la fin du 19e siècle, les lavandes qui poussent dans ses environs sont parmi les plus recherchées. Cette partie du département des Alpes-de-Haute-Provence, qui recoupe pour une large part les limites actuelles du Pays Asses, Verdon, Vaïre, Var, s’apprête alors à devenir une des principales zones d’approvisionnement et le village de Barrême devient, avec celui de Sault en Vaucluse, une des deux capitales de la lavande.

L'entreprise allemande Schimmel & Cie, parfumeur à Miltitz près de Leipzig, est la première à s'y implanter. À la fin du 19e siècle, elle décide de produire sa propre essence, et envisage rapidement de construire une usine dans l’ancien département des Basses-Alpes où l’augmentation de la demande commence déjà à bouleverser l’économie locale. En 1904, la décision est prise de construire une usine à Barrême. Ce choix ne s’explique pas seulement par la qualité et l'abondance de la lavande produite dans cette partie des Basses-Alpes. La présence du chemin de fer, qui relie Barrême à Digne dès 1892 et facilite ainsi les communications avec l’Allemagne, a probablement été déterminante.

Après la guerre, les parfumeurs grassois investissent le village de Barrême, poussés par les mêmes motivations que leur concurrent allemand vingt ans plus tôt. Il est probable que le choix des Grassois ait encore été facilité par la proximité de Grasse et de Barrême qui ne sont qu’à 90 km par la route et qui sont reliés par le chemin de fer depuis 1911. C’est ainsi que Barrême devient en quelques années une sorte de succursale de la parfumerie grassoise pour la lavande, concentrant pas moins de cinq distilleries de taille importante dont:

Localisation des anciennes distilleries de Barrême.Localisation des anciennes distilleries de Barrême.

Le fonctionnement de ces distilleries doit inévitablement s’appuyer sur de vastes lavanderaies à même de fournir les milliers de tonnes d’herbe que consomment leurs alambics. Naturellement, les industriels grassois exploitent les lavanderaies naturelles dans lesquelles ils envoient de nombreux ramasseurs. Mais c’est bien le développement des cultures qui rend possible l’augmentation de la production. Le mouvement est général. Dès 1926, la revue Les parfums de France note que les lavanderaies artificielles sont en progrès dans la région de Barrême. Leur nombre croit significativement à partir de 1924 et tous les paysans qui le peuvent consacrent une part de leurs terres, souvent deux ou trois hectares, à la culture de la lavande. Ils arrivent ainsi à diversifier et augmenter de manière significative leurs revenus. En quelques années, la lavande prend une très grande place dans l’économie locale. Tout le monde se lance dans l’aventure. Les parfumeurs ne trouvent que partiellement dans cette nouvelle offre de quoi satisfaire leurs besoins. Aussi ne sont-ils pas en reste : comme Lautier Fils à Saint-André, Selin possède une exploitation d’une centaine d’hectares sur les montagnes qui dominent Barrême au sud. Entre les années 1920 et la fin des années 1940, les surfaces cultivées dans les cantons de Barrême, Saint-André-les-Alpes et Colmars doublent, passant de 350 ha à un peu plus de 700 ha. Les années 1920 sont indéniablement la période faste pour les lavandes des environs de Barrême et de Saint-André. Une partie des cultures de lavande [de J.B. Selin] à BARRÊME (Basses-Alpes). 1933Une partie des cultures de lavande [de J.B. Selin] à BARRÊME (Basses-Alpes). 1933

Rapidement, l’âge d’or qui a fait des environs de Barrême « le Pays de la lavande » prend fin. Le déclin s’amorce dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les raisons en sont nombreuses. Les exploitations lavandicoles qui y sont aménagées se révèlent moins performantes qu’ailleurs. Il y a tout d’abord un premier dépérissement dû à la teigne de la lavande, une chenille d’un microlépidoptère qui fait des ravages autour de Barrême dès la fin des années 1930. D’autres causes, plus structurelles, finissent par avoir raison de cette activité. Après la guerre, la production de lavande dans les sites historiques de Digne à Castellane est en crise. La concurrence est trop forte. Celle de la lavande fine produite dans la région de Sault et des Baronnies, où les structures foncières des exploitations sont mieux adaptées à la mécanisation des cultures qui se développe. Et surtout celle du lavandin. D’abord voué aux gémonies pour ses piètres qualités, il est peu à peu mis en culture dans les années 1920 et connaît dès lors une croissance fulgurante. Dès que la culture de la lavande se développe massivement dans les années 1920, il apparaît que celle du lavandin présente de nombreux avantages. L’essence de lavande ne résiste que pour les usages les plus prestigieux, et la demande baisse inexorablement. Le lavandin met un terme à la ruée à grande échelle sur les essences des meilleurs crus et entraîne par endroits un basculement géographique des zones de production puisque il ne s’épanouit pas dans les mêmes conditions, notamment d’altitude, que la lavande. L’instabilité des cours joue elle aussi un rôle fondamental : chaque envolée se traduit par des surproductions, puis par un effondrement des prix qui précipite la disparition de la lavande dans certaines régions historiques. Après avoir atteint un pic vers 1950, les surfaces cultivées dans la région de Barrême se réduisent jusqu’à disparaître complètement au début du 21e siècle.

La fermeture des usines grassoises a vraisemblablement commencé dès la Seconde Guerre mondiale. Cette période reste mal connue. Il n’existe probablement plus que deux distilleries à Barrême à la fin des années 1950, et plus aucune après l’arrêt de la distillerie Mane en 1972. Le déclin de la lavandiculture barrêmoise a naturellement porté le coup de grâce. Mais il n’explique pas tout. Car au même moment, de nouvelles installations fleurissent un peu partout autour de Barrême. Ces unités de distillation sont installées par des propriétaires locaux, avec quelques familles particulièrement importantes, comme les Chailan à Lambruisse. La majeure partie des distilleries encore en place sont de ce type. Elles sont établies, sous un simple hangar, dans des lieux choisis pour leur proximité avec les lavandes, leurs ressources en eau et leur déclivité. Leur apparence reste très modeste. La cuve de l’alambic à bain-marie est disposée à même le foyer qui est le seul élément de l’ensemble véritablement maçonné. Il est installé dans un massif en parpaings ou en béton. La cheminée est métallique. Une charpente en bois ou en métal supporte le toit sans que la présence de mur soit indispensable. Malgré leur caractère extrêmement sommaire, ces installations sont pérennes. Elles comptent un alambic de grandes capacités, de 2000 ou 3000 litres, exceptionnellement deux.

Aujourd’hui, les souvenirs des lavandes barrêmoises tendent à s’estomper dans la mesure où cette activité y a largement périclité, alors qu’elle est encore bien vivace dans les autres régions de production historiques. Elle y a pourtant profondément bouleversé l’économie locale pendant plusieurs décennies et laissé de nombreux vestiges.

Secrets de Fabriques : la renaissance de la distillerie à Barrême

Depuis le début des années 2000, la Pays Asses, Verdon, Vaïre, Var travaille à la valorisation de son patrimoine culturel. Le projet Secrets de Fabriques vise à mettre en valeur les différents sites liées aux activités industrielles ou proto-industrielles qui ont contribué au développement de ses vallées au fil ds siècles. La culture et la distillerie de la lavande qui a profondément marqué toute une partie du territoire du Pays constitue un des axes principaux du projet. La distillerie Schimmel puis Mane à Barrême, acquise par la commune, a été choisie pour accueillir un centre d'interprétation dédié à la lavande, ouvert depuis l'été 2015.

1Cruvelier, p. 65-66

Bibliographie

  • ACHARD, Claude-François. Description historique, géographique et topographique des villes, bourgs, villages et hameaux de la Provence ancienne et moderne, du Comté-Venaissin, de la principauté d'Orange, du comté de Nice etc. Aix-en-Provence : Pierre-Joseph Calmen, 1788, 2 vol.

    p. 307-308.
  • ARDOUIN-DUMAZET, Victor-Eugène. Voyage en France. 12e série, Alpes de Provence et Alpes Maritimes. Paris : Berger-Levrault, 1893-1907.

  • BENOIT, Fernand. Recueil des actes des comtes de Provence appartenant à la maison de Barcelone, Alphonse II et Raimond Bérenger V (1196-1245). Collection de textes pour servir à l'histoire de Provence. Monaco : Imprimerie de Monace ; Paris : A. Picard, 1925, 2 tomes, CCLXIX, 496 p.

    p. 214-215.
  • BUFFA, Géraud. Distiller la lavande à Barrême. Collection Parcours du Patrimoine, n° 398. Lyon : Lieux Dits, 2015, 72 p.

  • CRUVELLIER, J.-F. Histoire de Barrême. Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes,1 vol., 180 p.,1889

  • FERAUD, Jean-Joseph-Maxime. Histoire, géographie et statistique du département des Basses-Alpes. Digne : Vial, 1861, 744 p.

    p. 266-268.
  • REPARAZ, André de. Lavande et lavandin. Leur culture et leur économie en France. Publication des annales de la faculté des lettres ; nouvelle série 46, Aix-en-Provence : Ophrys, 1965, 138 p. : ill.

Documents figurés

  • Basses-Alpes. - Barrême. / Entrée de la ville. - Pont sur l'Asse. / Carte postale, 1er quart 20e siècle.

  • Une partie des cultures de lavande [de J.B. Selin] à BARRÊME (Basses-Alpes). / Photogravure à partir d'une photographie, dans J.-B. Selin, distillerie à vapeur d'essence de lavande à Barrême (Basses-Alpes), prospectus publicitaire, mai 1933. Archives communales, Grasse : 39 S 13/3

Annexes

  • Liste hiérarchisée des oeuvres étudiées dans la commune de Barrême
Date d'enquête 2005 ; Date(s) de rédaction 2015
(c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
Buffa Géraud
Buffa Géraud

Conservateur du Patrimoine au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 2004 à 2017.

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