Dossier d’œuvre architecture IA06000050 | Réalisé par
Truttmann Philippe
Truttmann Philippe

Lieutenant-colonel du génie, docteur en histoire. Chargé de cours à l'École supérieure du génie de Versailles, Yvelines.

Expert en architecture militaire auprès de l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Réalise de 1986 à 1996 l’étude de l’architecture militaire (16e-20e siècles) de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur : départements des Hautes-Alpes, des Alpes-de-Haute-Provence, partie des Alpes-Maritimes, ensemble des îles d’Hyères dans le Var.

Principales publications : La Muraille de France ou la ligne Maginot (1988)

Les derniers châteaux-forts, les prolongements de la fortification médiévale en France, 1634-1914 (1993)

La barrière de fer, l'architecture des forts du général Séré de Rivières, 1872-1914 (2000)

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  • enquête thématique régionale, architecture militaire de Provence-Alpes-Côte d'Azur
fort Suchet, puis du Barbonnet, de la place forte de Nice
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Alpes-Maritimes - Sospel
  • Commune Sospel
  • Lieu-dit près de Sospel
  • Dénominations
    fort
  • Appellations
    fort Suchet, puis du Barbonnet, de la place forte de Nice
  • Dossier dont ce dossier est partie constituante
  • Parties constituantes non étudiées
    enceinte, fossé, ouvrage fortifié, pont, ouvrage d'entrée, cour, casemate, poudrière, édifice logistique, abri, batterie, monument sépulcral

Intérêt stratégique

Sans nullement exclure que la position ait été occupée et organisée en fortification passagère lors des campagnes des XVIIe et XVIIIe siècles, et en particulier celles de la Révolution (1793-94), aucun vestige d'organisation antérieure n'est visible, complètement effacé par l'édifice actuel.

On sait qu'après de multiples flux et reflux, c'est en 1860 que l'Italie consentit à céder à la France la Savoie et le comté de Nice, en contrepartie de l'action déterminante des armées de Napoléon III, en 1859, en faveur de l'unification de l'Italie, et en application des accords secrets conclus en 1858 entre les deux pays. Malgré les concessions faites par Napoléon III à Victor Emmanuel II dans le tracé de la nouvelle frontière - tactiquement désavantageux pour nous - toute une partie de l'opinion publique italienne ressentit très défavorablement cette cession, et la récupération de Nice et de la Savoie resta jusqu'en 1945 un des slogans politiques agités épisodiquement au-delà des Alpes.

Le soutien français à la papauté jusqu'en 1870 puis, ensuite, les rivalités économiques et coloniales provoquèrent entre les deux pays une crise durable. Un comité de défense est constitué en 1872 pour diriger la réorganisation de notre système fortifié : ses membres sont unanimes à ranger parmi nos adversaires potentiels en cas de conflit une Italie qui, de fait, adhère en 1882 à la Triple Alliance, aux côtés de l'Allemagne et de l'Autriche.

L'acquisition du saillant de Saorge, entre Berghe et Breil, donnait à la France la moyenne Roya, coupant à l'Italie la circulation sur la rocade suivant la vallée entre Vintimille et Turin par le col de Tende. Or, ce dernier se dressait comme un véritable mur au fond de la vallée, entre Tende et Limone Piemonte. Il est donc logique que l'Italie décidât d'éliminer ce mur en perçant le tunnel routier de Tende autant pour des motifs économiques et politiques - le désenclavement de la haute Roya – que stratégique - le renforcement d'un itinéraire routier permettant d'amener troupes et artillerie devant Nice : le tunnel fut ouvert en 1883. Les Italiens commencèrent, peu après 1870, à fortifier puissamment la crête sous laquelle passe l'ouvrage.

Du côté français, on s'était d'abord préoccupé, après 1870, de protéger la ville au nord-est avec le fort de la Tête de Chien maîtrisant la route littorale, les forts de la Drette et la Revère (1879-81).

Mais il restait à maîtriser l'itinéraire Nice-Turin par le col de Tende : la position du col de Brouis semblait la plus indiquée, mais elle était aventurée, requérait un grand développement d'ouvrages. Aussi, à l'instigation du général du génie A. Segretain, chargé en 1881 de l'inspection générale des 15e et 16e régions militaires, on retint le site du mont Barbonnet pour l'implantation d'un fort d'arrêt. L'affaire fut traitée par le Comité de défense dans la séance du 15 avril 1882.

Ce choix était judicieux : bien assez en avant de Nice pour constituer un élément de sécurité lointaine mais assez près cependant pour en recevoir du secours (ce qui n'aurait pas été le cas du col de Brouis) l'ouvrage contrôlait bien la route de Tende à partir du col du Perus, la route de Menton par le Merlanson à partir du col de Castillon et couvrait le col de Braus tout en pouvant être soutenu en arrière par la courtine naturelle Sainte-Agnès-Mont Ours-Authion.

Mais, compte tenu des positions dangereuses décrites précédemment, il convenait de placer l'armement d'interdiction sous tourelles cuirassées.

Projets et chronologie des travaux

1877 - 1914

Les études furent entreprises par la chefferie de Nice sous la direction du commandant Fritsch qui venait de remplacer le lieutenant-colonel Wagner, décédé prématurément de maladie. Un lever topographique précis de la position avait été exécuté en 1877, et dès 1879 (lettre du 4 novembre) la chefferie demandait 150 travailleurs militaires pour entreprendre la construction, en 1880, de la route d'accès, préliminaire indispensable aux travaux du fort.

Caponnière de gorge. Détail du couronnement de l'entrée du fort et signature du capitaine Azibert.Caponnière de gorge. Détail du couronnement de l'entrée du fort et signature du capitaine Azibert.Le projet et la conduite des travaux furent confiés au capitaine F. Azibert, qui avait antérieurement construit (1874-78) le fort de la Croix de Bretagne, puis travaillé à la construction des forts de Paris, à Versailles, puis à la chefferie de Champigny (1880-82).

Le premier projet, du 14 décembre 1882, est estimé à 2.000.000 de F. Les deux tourelles cuirassées tournantes en fonte dure, système Mougin, sont commandées directement et gérées par le service des cuirassements. Le plan définitif, remanié, est envoyé le 14 avril 1883, puis approuvé. La route d'accès, adaptée en plus au transport des lourds éléments des coupoles, étant utilisable, les travaux démarrent en 1883 et se poursuivront jusqu'en 1886. En 1883 et 84, on a dépensé 800.000 F et les demandes d'allocations de fonds se succèdent régulièrement (15 janvier 1884 : 20.000 F pour les tourelles et 500.000 F pour le fort lui-même, 16 juin 1884 : 5.000 F pour le montage des tourelles, 16 janvier 1885 : 700.000 F , 1886 : 500.000 F). Des conférences inter-services ont réglé, en temps utile, les différents problèmes entre service constructeur et futurs utilisateurs : 24 décembre 1882 : artillerie et intendance, 16 juin 1884 : approvisionnement en farine, 31 juillet 1884 : installation des moteurs à vapeur des tourelles, 17 mai 1885 : exhaussement des plateformes à canons, 19 mai 1886 : organisation des locaux du service de santé etc.

On trouve par ailleurs les inévitables péripéties qui marquent ce genre d'entreprise : déjà, en 1880, on note un accident survenu à un soldat du génie et une affaire contentieuse pour dégâts à propriété privée, lors de la construction de la route. Le 11 juin 1886, nouveau rapport concernant un accident survenu à un sapeur du génie ; le 28 février 1887 se produit un tremblement de terre.

Les trois registres d'attachements, signés contradictoirement par le capitaine-chef de chantier et les deux entrepreneurs successifs, et reversés aux archives du S.H.D., permettent de suivre pas à pas la progression des travaux tout au long de l'exécution.

Mais une phase importante est constituée par l'installation des tourelles. Les substructions, partie en maçonnerie, partie en « béton de ciment» ont été réalisées en priorité. Les deux engins, construits aux usines de Montluçon, représentent chacun, sans parler de la charpente et des accessoires, dix éléments de blindage pesant de 11 à 20 tonnes, soit un total de 198 tonnes à transporter et à mettre en place avec la plus grande précision. Le matériel pouvant être transporté par chemin de fer jusqu'à Nice ou Menton (la voie Nice-Sospel ne sera construite que beaucoup plus tard) l'acheminement sur le site devra être assuré sur chariots tirés par des « locomobiles» à vapeur (ou « locomotives routières ») avec, à intervalles réguliers, des dépôts de charbon et d'eau prévus le long de la route.

Deux itinéraires sont étudiés :

- Nice-col de Braus-Barbonnet

- Menton-Castillon-Sospel-Barbonnet.

Après étude, et réalisation des travaux indispensables (renforcement des ouvrages d'art, aménagement des courbes, etc.) c'est la seconde solution qui est retenue. Or, le transport d'un voussoir de 20 tonnes de Sospel au Barbonnet représente un voyage de huit jours, y compris le retour du tracteur. Le premier voussoir arrive au fort le 29 juin 1883, et le montage, effectué par la firme constructrice, peut commencer. Le paiement intervient le 3 août 1883 : 172.418, 95 F pour la tourelle sud « T », 172.328, 75 F pour la tourelle « S » (tourelle nord). La manœuvre elle-même prit trois mois.

On notera que les engins « S » et « T » sont les derniers des 25 tourelles de ce type construits et installés dans la fortification française. La « crise de l'obus torpille» leur ôtant beaucoup de leur valeur, la construction en sera arrêtée en 1885, et d'autres types mis à l'étude.

Les tourelles sont dotées de machines à vapeur verticales de 3 ou 4 CV de marque « Herman et Lachapelle », destinées à assurer, pendant le tir, la rotation continue : ces machines permettent ainsi d'économiser les 18 hommes normalement prévus pour ce service, en cas de marche à bras. Après montage des affûts et des pièces de 155 L modèle 1877, on procède le 16 juin 1887 aux tirs d'épreuve, puis les tourelles sont remises le 25 septembre et le 12 octobre 1888 au service de l'artillerie, désormais responsable du service et de l'entretien.

Vue aérienne, prise du sud-ouest.Vue aérienne, prise du sud-ouest.En fait, le fort est terminé fin 1886, mais des travaux mineurs d'aménagement se poursuivront. Sa tâche terminée, le capitaine Azibert est affecté, le 25 mars 1887, au 2e régiment du génie à Montpellier et sera nommé peu après chef de bataillon : la construction du Barbonnet est soulignée en exergue dans ses notes. Le fort est classé dans le domaine public, première série des places de guerre par loi du 27 mai 1889.

Mais l'achèvement du fort coïncide avec un événement majeur : la «crise de l'obus torpille », en l'occurence les nouveaux projectiles en acier chargés en explosif chimique, vient brusquement ôter beaucoup de leurs capacités à tous les ouvrages du « système» Seré de Rivière, à peine terminés. Certes, cet événement technique de première importance n'a pas eu, dans le Sud-Est et en site montagneux, les mêmes conséquences que dans le Nord-Est, mais, cependant, des mesures d'urgence s'imposaient : dès 1889, on se préoccupe de mettre les poudres du fort à l'abri des nouveaux projectiles.

En 1891, on creuse sous le fort, dans le roc, un « magasin à poudre caverne» destiné à remplacer celui d'origine, en élévation, et qui n'est plus à l'épreuve. Mais ce travail est réalisé à l'économie avec accès en puits à partir de la galerie axiale du fort, au lieu de réaliser une galerie partant du fossé de gorge qui eut facilité les transports.

Simultanément, et avec le développement des troupes alpines spécialisées et la création d'une armée des Alpes, conséquence logique de la tension franco-italienne, on a commencé dès 1887, et en grande partie par main-d’œuvre militaire, l'organisation défensive de la longue crête « en courtine» Sainte-Agnès-Authion par le mont Ours et le col de Braus. Entre 1887 et 1907 on va établir des postes défensifs au mont Ours et à la pointe de Siricocca, des épaulements de batterie à Siricocca, au col de Segra, à la Tête de Lavina et au Ventabren, desservis par une longue route en rocade implantée légèrement à contrepente et raccordée, au col de Braus, au réseau public (1895). De la sorte, il sera facile de prévenir une attaque brusquée des Italiens en amenant rapidement de l'artillerie de campagne sur des positions reconnues à l'avance et qu'il suffira d'aménager sommairement si besoin est : le fort du Barbonnet baptisé « Fort Suchet» par décision ministérielle de 1886, n'est plus isolé, mais il devient le point fort d'une position solide et peut être soutenu, en arrière, par les troupes de la défense mobile de Nice.

Les choses vont rester en l'état, sans événement notable (à part de nouveaux exercices de tir des tourelles en 1899) pendant plusieurs années. A la suite des expériences de tir exécutées en 1901 sur la tourelle Mougin du fort de Pagny la Blanche Côte, le ministre prescrit (D.M. du 10 septembre 1907) la suppression des « moteurs à vapeur» à qui on reproche de signaler, par leur fumée, la position de la tourelle: celles du Barbonnet sont remises par le service de l'artillerie au génie et enlevées : on en revient à la rotation à bras.

Mais depuis 1880 commençait à se faire jour l'idée de création, à l'initiative de l'Italie, de la voie ferrée Nice-Coni par Sospel et la vallée de la Roya. Compte tenu des conséquences stratégiques importantes du projet, l'autorité militaire estime indispensable un renforcement du fort.

Plusieurs projets sont étudiés par la chefferie du génie de Nice, dont un particulièrement ambitieux prévoit l'installation d'une tourelle à éclipse de 155 R, de 3 tourelles de mitrailleuses, une tourelle de projecteur et 4 observatoires cuirassés, le remplacement de 2 caponnières par des coffres en béton armé, la construction d'une caserne bétonnée etc.

En fin de compte, vers 1912, on s'arrête à une solution plus modeste limitée au renforcement partiel des 2 tourelles Mougin, l'installation d'une tourelle à éclipse pour projecteur électrique (le service des cuirassements, en 1913, prévoyait l'installation des 4 observatoires pour 1914 (entre avril et octobre) et celle de la tourelle de projecteur pour septembre 1915 ; mais, en 1914, un gros retard avait été pris tant dans la métallurgie que dans le bâtiment), de 4 observatoires cuirassés et 6 guérites observatoires, le renforcement des caponnières, le couvrement de la cour centrale, avec installation de l'énergie électrique pour l'éclairage et la ventilation, le tout pour 640.000 F à prendre en charge par la compagnie du P.L.M., partie prenante du côté français du projet de construction de la voie ferrée (une procédure analogue a été appliquée, à peu près à la même époque, au fort de Liouville, près de Saint-Mihiel, à l'occasion de la création d'un chemin de fer d'intérêt local, dont l'autorité militaire a limité l'écartement à un mètre, par raison de sécurité) (Réf. D.M. n° 2281. 2/4 du 27 janvier 1911). Le ministre donne son accord, et les travaux commencent, mais ils seront rapidement interrompus par la mobilisation du 2 août 1914. A ce moment, le point s'établit comme suit : les collerettes des deux tourelles ont été refaites en béton armé (sans modification des substructions) les dispositifs de renforcement «type Saint-Cyr» des tourelles elles-mêmes sont commandés, mais non livrés. La caponnière sud-est et le magasin de la tourelle sud sont dotés d'une dalle de béton armé, la caponnière nord-ouest a sa voûte démolie mais la dalle n'est pas coulée : on place une couche de rails en attendant. 2 guérites-observatoires sont posées, 3 autres sont installées sommairement. Tout le reste est ajourné sine die.

En 1914, le fort était doté (plan XVII) d'une garnison de guerre constituée du 4e bataillon (à 2 compagnies seulement) du 163e régiment d'infanterie, un gros détachement du 7e régiment d'artillerie à pied, des sapeurs du génie, infirmiers etc.

L'armement est celui d'origine : 4 canons de 155 L modèle 1877 en 2 tourelles tournantes (obus de 43 kg, portée théorique 7500 m), 1 canon de 155 L modèle 1877 sur affût de siège (portée 9000 m), 10 canons de 95 mm (Lahitolle) sur affût de siège et place (obus de 12 kg, portée 8250 m), 1 mortier-bouche de 32 cm et 6 de 15 cm, 5 canons-révolver modèle 1879 de défense de fossé.

Il était prévu, en outre, 2 canons de 120 court modèle 1890 et 4 canons de 80 mm de montagne modèle 1878 (obus de 5,6 kg, portée 4200 m) mais, à la date du 1er janvier 1913, ces matériels n'étaient pas mis en place.

L'Italie étant restée neutre lors de l'ouverture du conflit, l'armée des Alpes fut dissoute rapidement, dès août 1914, et le gros des unités envoyé dans le Nord-Est. Un an plus tard, le 5 août 1915, un décret prononçait la dissolution des places fortes et mettait leurs ressources à la disposition du général en chef : comme tous ses homologues, le fort du Barbonnet, vidé, entrait en léthargie pour près d'une dizaine d'années.

1922 - 1945

Dès la fin de la guerre, nos relations se tendent à nouveau avec une Italie déçue, à la situation économique délabrée. L'arrivée au pouvoir du fascisme en novembre 1922 ne fait qu'aggraver les choses, et très vite, Mussolini se lance avec jactance dans des revendications provoquantes visant Nice, la Savoie, la Tunisie, etc.

En France, la « Commission de défense des frontières» (C.D.F.) a été chargée de concevoir la réorganisation du système de défense des frontières : elle déposera son rapport le 6 novembre 1926 pour les frontières du Nord-Est, puis le 12 février 1929 pour la frontière du Sud-Est. En attendant, et pour donner, au moins politiquement, un coup d'arrêt aux prétentions tapageuses de Mussolini, on élabora, en 1927, un «programme réduit de défense de Nice», qui comprenait la mise en chantier d'ouvrages à Rimplas et Flaut, et la réactivation du mont Agel et du Barbonnet.

On a laissé ce dernier en août 1914 en pleins travaux de renforcement interrompus par la déclaration de guerre. L'achèvement des travaux a bien été demandé par un rapport au ministre (n° 4398) le 19 septembre 1920, mais ce n'est qu'en 1927 – avec le «programme réduit» - qu'ils reprendront et de façon d'ailleurs bien modeste : on va réaliser la dalle de béton armé de la caponnière nord, condamner sa gaine d'accès trop vulnérable, et percer, à son origine, un puits, avec monte-charge et cage d'escalier, dont le pied est relié par un nouveau tronçon de galerie dotée d'une voie étroite, à la caponnière reconvertie en magasin à munitions de la tourelle nord.

Le reste du programme de 1912 (projecteur sous tourelle à éclipse, observatoires, couvrement de la cour) ne sera jamais exécuté, sauf la poursuite de l'amélioration des tourelles.

Le mont vu du sud-ouest de la région du col du Farghel.Le mont vu du sud-ouest de la région du col du Farghel.Ces travaux sont réputés terminés le 10 novembre 1929 : il ne s'agit que du minimum minimorum. Pourquoi faire plus, alors que la réorganisation générale du fort est prévue, cette fois dans le cadre du nouveau programme restreint de défense des Alpes, défini dans le rapport de la C.D.F. de février 1929 ? Cette réorganisation, prescrite par la « Commission d'organisation des régions fortifiées» (C.O.R.F.) par note n° 25/FA du 12 février 1929, prévoit le creusement, sous le fort, d'un nouvel ouvrage moderne que deux vastes puits avec monte-charge relieront aux deux tourelles de 155 (voir avant-projets du 10 novembre et 26 décembre 1929, puis d'octobre 1931).

En fait, les difficultés géologiques et financières amèneront à abandonner la réalisation de ces puits : on en arrivera d'une part à réaliser un ouvrage moderne dit « ouvrage du Barbonnet » et, d'autre part, à maintenir en activité, comme batterie de position, le «vieux fort» c'est-à-dire ses deux tourelles de 155 améliorées. Il s'agit, donc, de deux édifices indépendants.

Prévue avant la guerre de 1914 l'amélioration des tourelles était restée en souffrance. Même si les collerettes avaient bien été reconstruites en béton armé, les travaux à exécuter sur l'engin lui-même restaient à faire, à savoir :

1) la pose, à la face intérieure du voussoir d'embrasures, d'un caisson étanche, avec frette coulissante à poser autour des volées des pièces, et burinage correspondant des embrasures, ceci pour réaliser l'étanchéïté de la tourelle en vue d'assurer la ventilation en surpression de l'engin

2) la pose, sur la charpente de la virole, juste au-dessous de la partie blindée, d'une « gouttière pare-éclats» destinée à éviter la pénétration d'éclats d'obus torpilles entre la partie tournante de la tourelle et l'avant-cuirasse; ce dispositif avait été mis au point en 1901, à la suite d'expériences de tir exécutées sur la tourelle du fort de Saint-Cyr, à Paris ; en 1914, six ensembles de ce modèle, commandés par marché d'octobre 1913, étaient fabriqués ou en cours pour six tourelles (dont celles du Barbonnet) et leur installation envisagée entre 1914 et 1916

3) l'électrification des engins (éclairage et ventilation) en exécution de la D.M. 21582/4 S du 14 octobre 1929 et 1625 2/4 S du 8 juillet 1930. Crédit alloué : 800.000 F.

Ces travaux - pourtant modestes - s'exécutèrent entre novembre 1930 et mai 1932. Le burinage des embrasures - avec outillage pneumatique - prit des dimensions démesurées : la chefferie du génie, pour économiser quelques crédits, envisagea de faire exécuter le travail par le parc d'artillerie de la place de Nice. L'affaire ayant tourné court, elle se retourna vers un de ses entrepreneurs de ferronnerie, la maison Pettenaro et Bertinetto, qui commença le travail mais, la dépense prenant des allures prohibitives, on se résolut à s'adresser à la firme « Chatillon-Commentry et Neuves Maisons » (usine Saint-Jacques à Montluçon) qui avait construit les tourelles et ses dispositifs de renforcement.

Concernant ces derniers, le capitaine Lemaître du S.E.M.G. et contrôleur des cuirassements en usine, annonce, par lettre 799 M du 30 septembre 1931, que les deux ensembles sont prêts à être expédiés de Montluçon à Sospel. Par tourelle, les fournitures représentent : 14 consoles, 10 éléments de gouttière, 14 panneaux, 10 poteaux, 1 caisson, 4 échelles et de la boulonnerie diverse, représentant un poids de 23 tonnes.

Au total, ce sont 133 colis, représentant 46.686 kg qui sont expédiés le 10 octobre 1931 pour Sospel, suivis le 27 novembre de 337 kg d'outillage. Les monteurs de la firme arrivent le 7 décembre et les travaux sont signalés comme presque terminés le 21 mai 1932.

Enfin, pour alimenter l'éclairage et les ventilateurs, on installe, à proximité de chaque tourelle, un groupe électrogène Ballot de 10 CV à c.c., puisque le fort n'avait toujours pas reçu l'électrification prévue en 1912. L'installation réalisée, on constata qu'il restait de la puissance disponible, d'où l'idée d'en profiter pour assurer la motorisation de la rotation des tourelles : ce fut réalisé en 1934.

Tourelle nord ("Jeanne d'Arc"). Intérieur. Vue arrière des deux pièces.Tourelle nord ("Jeanne d'Arc"). Intérieur. Vue arrière des deux pièces.Après cinq ans de travaux, il convenait de vérifier, en vraie grandeur, le bon fonctionnement des engins « améliorés ». Des tirs d'essai avaient été organisés les 1er et 2 décembre 1930 pour contrôler la stabilité des maçonneries des substructions, mais une panne du circuit électrique de mise de feu avait interrompu les opérations et celles-ci avaient repris le 30 janvier 1931 : à charge 0.0 (4, 750 kg) et boîtes en boissellerie de 25 kg sous angles de 17 et 20° : 5 salves avaient été tirées - alors que 4 seulement étaient nécessaires - et aucune anomalie ne fut constatée : les témoins posés en 1899 ne bougèrent pas.

Une nouvelle série de tirs fictifs fut organisée par le 157e régiment d'artillerie le 29 août 1934 et 40 coups tirés, soit 10 salves pour la tourelle nord, 9 salves + 1 coup isolé de la pièce de droite (une gargousse étant tombée) pour la tourelle sud : éclairage, ventilation et rotation électriques donnèrent entière satisfaction. Le tout fut remis à la chefferie territoriale, puis par celle-ci au service de l'artillerie en 1935 : les tourelles « améliorées» étaient à nouveau bonnes pour le service de guerre.

Ces travaux, étalés sur sept ans si l'on compte ceux effectués entre 1912 et 1914, aboutissaient à maintenir en service à l'aide d'expédients des engins qu'on savait dépassés depuis 1885. Nombre de points faibles avaient été éliminés, mais la coupole proprement dite était restée telle qu'elle était et pouvait encore, en 1940, encaisser plusieurs coups de 149 italien, mais pas au-delà.

Dans les forts modernisés avant 1914 (Manonviller, Frouard, Pont-Saint-Vincent) on les avait doublés nombre pour nombre par des tourelles à éclipse modernes, sans se résoudre à les supprimer, de façon à maintenir actifs des organes de tir pendant l'exécution des travaux, puis en tirer parti, ensuite, vaille que vaille, tant qu'ils pourraient tenir, sans se faire d'illusions sur leur capacité de résistance.

Au Barbonnet, compte tenu du peu de place disponible, la solution théorique idéale était d'ajouter une tourelle de 155 R à tir rapide - comme envisagé dans un projet voire mieux, démolir les vieux engins et les remplacer par des tourelles modernes soit une dépense de 1.200.000 F (plus les dépenses de démolition) soit près des deux tiers du prix de construction du fort, dépense que ne pouvait supporter le budget des fortifications.

Mais, dans le cas particulier du Barbonnet, fort de montagne, les risques de destruction par l'artillerie lourde étaient sérieusement minorés par les difficultés du terrain et la rareté des itinéraires et des positions de batterie utilisables par les assaillants.

Les seuls événements survenus entre 1935 et 1939 sont les fissures importantes apparues dans les maçonneries de la partie sud à la suite des éboulements provoqués par le percement des galeries de l'ouvrage Maginot : des témoins sont posés les 12 et 13 octobre 1939. A l'époque, le fort a été activé à la mobilisation comme batterie d'artillerie de position (les tourelles disposent d'un approvisionnement de 750 coups par engin) et comme observatoire, compte tenu de sa situation sur la position de résistance. Rien ne se passe jusqu'au 10 juin 1940, date de la déclaration de guerre de l'Italie : mais l'offensive italienne ne se déclenchera que le 20, entre le Grammondo et la mer. C'est alors que les 22 et 23 juin, les vieilles tourelles tireront, en 6 tirs, 110 coups pour dégager les ouvrages d'avant-poste de Pierre Pointue et de la Baisse de Scuvion encerclés par l'infanterie italienne. Très lourdes pertes pour les assaillants (les pièces étaient servies par du personnel de la lle batterie du 157e R.A.P.).

Pendant l'occupation, les Italiens ne manqueront pas de vider des tourelles qui leur avaient coûté cher, mais sans dégâts pour le fort.

Après 1945, l'inspecteur du génie, général Fortin, en relançant le projet de la remise en état de la ligne Maginot du Sud-Est, dans le cadre de ce qui deviendra, un temps, le « secteur de défense des Alpes », attire, en 1947, l'attention sur le rôle joué, dans les combats de juin 1940, par le fort et ses tourelles : il existe encore, dit-il, des tourelles équipées - dont celle du fort de Villeneuve-Saint-Georges où ne manquent que les culasses des pièces - où l'on pourrait prélever les éléments manquants pour recompléter le Barbonnet. Effectivement, dans les années 50, on rééquipera le Barbonnet, mais en y ramenant tout ce qui a pu être récupéré dans les tourelles du même modèle. Les tirs de réception des pièces dans les tourelles remises en état seront effectués le 15 juin 1961.

Mais, à partir de 1963, la France décide d'abandonner ces fortifications. Le sort des ouvrages est remis en examen par D.M. 3905/DCG/T.EG/S du 29 octobre 1963 : le fort sera déclassé en domaine privé, et s'y trouve encore aujourd'hui, concédé à l'association « Edelweis-Armée des Alpes » qui en assure l'entretien et la promotion touristique.

Analyse architecturale

Situation

Vue aérienne, prise du nord-ouest.Vue aérienne, prise du nord-ouest.Le fort occupe le sommet du mont Barbonnet, à 2 km au sud-ouest du bourg de Sospel. Le mont Barbonnet est une butte détachée de la longue crête des Alpes du Sud, orientée sud-est-nord-ouest et courant de la côte à Menton-Carnolès, au massif de l'Authion ; elle se situe à 3 km au sud-est du col de Braus, où la route traditionnelle Sospel-Nice franchit la crête précitée (1002 m) entre la tête de Lavina, au sud, et le Ventabren au nord.

Cette butte est reliée au massif par un pédoncule séparant le vallon de Roccas (nord) de celui de Caraviera (sud), franchi par la route au col Saint-Jean, à 642 m, derrière le Barbonnet.

Ainsi placé, le fort domine Sospel, le cours inférieur et la trouée de la Bévéra (affluent rive droite de la Roya), le versant sud du col du Perus et le débouché, vers Sospel, de la route venant de Turin par Coni, le col de Tende et la haute vallée de la Roya, à 7200 m. De ce côté, la principale position dangereuse est constituée par le mont Agaisen (751 m) à 3 km au nord-est. Au sud-sud-est, à 5,4 km, il domine le col de Castillon, où la route Menton-Sospel, venant de la côte, franchit une crête secondaire constituant, à 782 m d'altitude, une autre position dangereuse prise très au sérieux par nos tacticiens lors de la conception de l'ouvrage.

Le mont Barbonnet dessine un tronc de pyramide asymétrique bordé, à l'est, par la vallée du Merlanson, affluent rive droite de la Bévéra, orientée sud-nord et descendant du col de Castillon, au sud par celle du Caravicia, à l'ouest par celle de Roccas. Au nord-est, les pentes s'étalent par étages, jusqu'aux lisières ouest de Sospel.

Il convient d'ajouter que la constitution géologique complexe et instable du terrain du sommet du Barbonnet devait compliquer les travaux de construction du fort, tandis que la raideur des pentes rendait très difficile leur défense rapprochée.

Caractères généraux

Fort d'arrêt, isolé, construit conformément aux prescriptions techniques du rapport du 9 mai 1874, à l'exception de certains points imposés par le site escarpé.

Type : à massif central et batterie basse.

Vue aérienne prise du sud.Vue aérienne prise du sud.Plan : pentagone irrégulier et asymétrique très allongé, dont le grand axe orienté nord-nord-ouest-sud-sud-est représente 215 m de développement (fossés et caponnières exclus) pour 87 m de profondeur.

L'orientation du grand axe correspond à la fois au grand axe de la plateforme elliptique du terrain d'assiette aux directions les moins dangereuses du terrain environnant, de manière à éviter la prise d'enfilade de la cour centrale et des batteries.

L'ouvrage occupe la totalité du sommet montagneux, sauf au nord, où une arête rocheuse, trop étroite, a été laissée en dehors de l'ouvrage. On en a tiré parti, ultérieurement, pour y installer quelques postes extérieurs reliés par des tranchées.

Obstacle : fossé rectangulaire à escarpe et contrescarpe revêtues ou taillées, parfois, dans le roc vif. Largeur au fond de 6 m environ.

L'exiguïté du terrain d'assiette et la raideur des pentes alentour a empêché de réaliser le défilement au quart de l'escarpe, contrairement à la règle imposée par l'artillerie rayée. L'escarpe, dont la hauteur varie de 6 à 10 m est ainsi visible, de loin (Agaisen, Plan Germain) sur un quart voire un tiers de son élévation.

De plus, et surtout autour des saillants constitués par les trois caponnières nord, sud et ouest, le constructeur a été contraint de réaliser artificiellement des masses couvrantes en remblai garnies, extérieurement, de glacis en perrés soigneusement construits en gros appareil, inclinés à 1/1 et s'appuyant sur des soutènements maçonnés, ceci pour protéger au mieux les organes de flanquement contre les vues et les coups.

Ces éléments de contrescarpe sont surmontés de tronçons discontinus de chemin couvert, trois encoches ménagées dans la contrescarpe au sud-est, sud-ouest et au nord-ouest - ne figurant d'ailleurs pas sur les plans de l'ouvrage – semblent correspondre à des logements d'échelles amovibles permettant à des éléments à pied de gagner le chemin couvert depuis le fossé, ou de se replier dans le fort, par les poternes des caponnières.

Organisation générale de l'ouvrage

Massif central. Vue des dessus prise vers le nord. Au fond, à droite, tourelle nord.Massif central. Vue des dessus prise vers le nord. Au fond, à droite, tourelle nord.Le massif central, rectangle allongé, coupé d'une cour axiale où prennent jour, en vis à vis, les corps de bâtiment abritant les casemates-logements, est décalé vers le nord-ouest du fort, et n'est séparé de l'escarpe de gorge, de ce côté, que par la rampe prolongeant, dans le fort, la route d'accès.

Enrobé d'un massif de terre protecteur, dont le talus extérieur est incliné aux deux tiers, il comporte, au sud, un exhaussement de 3 m recouvrant le magasin à poudre. Les massifs des tourelles à plongées demi-circulaires le prolongent, au nord et au sud, en contrebas des plans supérieurs de l'ouvrage de façon à éviter que les coupoles métalliques ne se profilent vers le ciel : le champ de tir des engins s'en trouve limité à un peu plus de 180°, au nord pour la tourelle nord, au sud pour la tourelle sud, interdisant les concentrations de tir (cette disposition se retrouve dans les 5 tourelles des forts de Paris, à Lille (Bondues), Besançon (Montfaucon), Lyon (Corbas), Manonviller, Maubeuge, soit la moitié des engins ; ailleurs, les tourelles sont installées au sommet du massif central et peuvent tirer sur tout l'horizon).

La crête d'artillerie se limite :

- Au front est, face à la trouée de la Bévéra, à un alignement de 3 p1ateformes doubles encadrées et séparées de 4 traverses enracinées. Cette batterie, prévue pour 6 pièces de 95 mm (3 sections de 2 pièces) ne comporte pas de rue du rempart au sens usuel du terme.

- Au front sud, face à Castillon, à 2 plateformes doubles séparées par une traverse enracinée et une plateforme orientée à l'ouest-sud-ouest. Cette batterie comporte une rue du rempart.

Il n'existe pas d'emplacements d'artillerie à air libre face à l'ouest, ce qui dénote une volonté délibérée d'irréversibilité de la fortification du côté de l'arrière.

Contrairement aux dispositions usuelles, le massif central ne comporte pas de crête d'infanterie. Celle-ci se réduit à un mur à bahut qui couronne l'escarpe, disposition qui résulte de l'inclinaison des pentes à battre aux abords du fort. Ce mur à bahut est desservi par un chemin de ronde desservi par les sorties du massif central et, en particulier, une gaine partant de la troisième traverse du front est, et une sortie, à gauche, de la caponnière sud.

Les plans du fort donnent une hauteur de crête de feu de 2 m par rapport au terre-plein, mais sur place on trouve moins d'1,50 m. On sait par ailleurs que les plateformes ont été surélevées en 1886. Il est probable - le cas est fréquent – que certains remaniements n'ont pas été pris en compte dans la mise à jour périodique des plans. Talus de revers constitué par un mur en pierres sèches.

Flanquement des fossés

Caponnière nord. Flanc gauche pris en fond de fossé.Caponnière nord. Flanc gauche pris en fond de fossé.L'enceinte comporte cinq fronts, de longueur variable, établis en système polygonal simplifié et défendus par trois caponnières doubles. Compte tenu de l'étroitesse d'une plateforme sommitale bordée de pentes très raides, on ne pouvait pas donner à ces caponnières une grande saillie sur l'escarpe sans renoncer à les protéger, et on sait qu'on n'y est parvenu qu'en les enveloppant d'une contrescarpe artificielle en remblai. Aussi ne comportent-elles qu'une seule pièce par direction à battre, alors que la norme usuelle est deux, et parfois même trois à Paris et aux Ayvelles.

Dans le cas particulier d'un fort de montagne, et des difficultés corrélatives d'un assaut, cette solution était admissible vu la longueur modique des fossés à battre : plusieurs forts de montagne n'ont leurs fossés défendus que par des caponnières à fusils, voire par des bastionnets à ciel ouvert (Briançon).

Au Barbonnet, après des essais (1887) d'installation de canons de 12-culasse, adoptés en 1884, on se résolut à adopter exclusivement le canon-révolver modèle 1879 dont 5 exemplaires sont signalés en place en 1914. Toutefois, les murs d'allège comportent, sous l'embrasure, l'évidement correspondant à la tête du lisoir directeur du 12-culasse, mais la cheville ouvrière n'a pas été mise en place.

On trouve ainsi :

Caponnière sud. Face droite bastionnée vue du fossé.Caponnière sud. Face droite bastionnée vue du fossé.-Au saillant sud-est, la caponnière sud à plan en angle droit asymétrique. La branche gauche, la plus courte, comporte une chambre de tir flanquant le front de tête du fort (180 m) et accolée, à droite, d'une galerie de fusillade à trois alvéoles battant la zone privée de feux devant le bâtiment. La branche droite, plus longue, prend d'enfilade le front sud (65 m), elle comporte une longue chambre de tir mais sans galerie de fusillade séparée. Par contre, le piédroit gauche (extérieur) est tracé en plan bastionné, et constitué par des niches accolées dont les voûtes servaient de contreforts à la voûte de la chambre de tir principale. Ce piédroit est en plus tracé en plan bastionné avec, à chaque niche (ou chaque alvéole pour la branche gauche) un créneau de pied voûté en arc segmentaire et surmonté de deux créneaux verticaux à ébrasement gradiné, pour battre le fossé devant la tête de caponnière. Dans chaque flanc du petit tracé bastionné on trouve en outre un créneau vertical à ébrasement extérieur gradiné flanquant, en feux croisés, la face gauche de la tête de caponnière: il semble que ce curieux perfectionnement, très rare dans cette génération d'ouvrage doive être porté au crédit du capitaine chef de chantier.

On sait (cf. historique) que cette caponnière a été renforcée entre 1912 et 1914. Les voûtes ont été démolies et remplacées par une dalle de béton armé d'1, 50 m.

Chaque flanc est protégé latéralement par un orillon hémicylindrique plein, contre les coups d'écharpe, et au-dessus par une visière prolongeant la dalle de toiture. Un tronçon de galerie de fusillade logé dans l'escarpe, fractionné en alvéoles munies de créneaux de pied et verticaux prolonge la caponnière, à droite et à gauche, et complète la défense du fossé et des abords de l'ouvrage.

Il convient de noter que le mur extérieur de tête de caponnière étant plus bas que celui du flanc, le raccordement entre tablettes se fait par un rampant au sommet de l'orillon tracé, donc, en plan incliné.

A l'intérieur de l'ouvrage et au départ de la galerie de fusillade on trouve un puits descendant à une poterne débouchant dans le fossé diamant, sous la protection d'une couverture amovible de rails glissés dans des feuillures ménagées d'un côté dans l'escarpe et de l'autre dans le revers de l'orillon.

L'accès à l'ouvrage se fait par une longue gaine voûtée, en maçonnerie non renforcée, partant du massif central, près de la tourelle sud. Cette gaine arrive à la caponnière à côté d'un petit magasin à munitions. Juste avant s'embranche à droite un élément de galerie ascendante menant à une sortie bétonnée sur les dessus et le chemin de ronde.

Au saillant nord, une autre caponnière double, dite « caponnière nord» flanque, à gauche (avec un C.R.) le front nord-est (90 m) et, à droite, le front nord-est (50 m) avec un simple créneau de fusillade croisant son tir avec son homologue d'un bastionnet voisin.

On sait que le renforcement de cette caponnière était commencé en 1914 : les voûtes avaient été démolies mais simplement remplacées, à titre d'expédient provisoire, par un lit de rails. La dalle de B.A. définitive n'a été coulée qu'en 1928-29.

De même, l'accès se faisait, à l'origine, par une gaine rectiligne voûtée, en maçonnerie, partant du massif central près de la tourelle nord et aboutissant, derrière l'escarpe, à droite de la caponnière. Là, elle effectuait un tournant à gauche de 90°, pour jouer le rôle de galerie crénelée d'escarpe et pénétrer dans l'organe.

En 1928-29, cette gaine, trop vulnérable, a été murée à hauteur de la tourelle, vraisemblablement bourrée en rocaille, et remplacée par un puits avec monte-charge et cage d'escalier accolés dont le pied, au niveau du fond du fossé, est relié à la caponnière par un nouveau tronçon de galerie. Ces dispositions visaient à assurer une nouvelle communication à l'épreuve entre la caponnière, transformée en magasin à munitions, et la tourelle proche.

Plus simple que son homologue « sud », l'édifice est constitué, intérieurement, de trois casemates dont une flanque à droite, avec un créneau de fusillade à ébrasement extérieur gradiné, une à gauche constitue la chambre de tir du canon-révolver, prolongée, dans l'escarpe adjacente, par les trois alvéoles d'une galerie de fusillade. En arrière, un local (n° 13) voûté constitue le magasin à munitions. On notera que les créneaux de pied du front de tête ont été murés et remplacés par des conduits inclinés (goulottes lance-grenades), peut-être lors de l'aménagement en magasin. Cette même face gauche du front de tête comporte deux avant-becs entre les créneaux de pied, ceci pour diminuer les angles morts entre créneaux.

Le flanc gauche est protégé latéralement par un orillon hémicylindrique et, au-dessus, par un élément de dalle formant visière. A droite, on ne trouve pas d'orillon, mais simplement un élément de visière à plan en quart-de-rond, contre les coups plongeants.

Enfin, le fossé diamant a été comblé et n'est plus visible.

Vue générale du flanc gauche de la caponnière de gorge et de l'entrée du fort.Vue générale du flanc gauche de la caponnière de gorge et de l'entrée du fort.Enfin, au milieu du front ouest (gorge), on trouve la caponnière ouest constituant, en outre, l'entrée du fort.

La caponnière est adossée au milieu d'une longue muraille continue formant, au sud, l'escarpe du fort et, au nord, le soutènement - épais de près de 3 m - du massif central. Ce soutènement est, à partir de la caponnière, bordé, au pied, par la rampe intérieure de la route d'accès du fort, elle-même bordée, à l'ouest, par l'escarpe de la partie nord du front ouest.

En clair, le tracé du front ouest comporte au centre et au niveau de la caponnière un décrochement correspondant à l'intégration dans l'enceinte de la route d'accès.

Arrivée de la route d'accès au fossé de gorge et traversée du glacis.Arrivée de la route d'accès au fossé de gorge et traversée du glacis.En venant du col Saint-Jean, la route monte en lacets et aborde obliquement le glacis.

Elle le traverse en tranchée coupée par une porte-grille défensive, pénètre dans le fossé normalement à l'escarpe et effectue une épingle à cheveux vers la gauche pour se présenter face au flanc gauche de la caponnière.

On pourrait croire qu'un assaillant ayant forcé la porte-grille pourrait alors envahir le fossé du fort : il n'en est rien, car la route se trouve à trois mètres en contrebas du sol du tronçon sud du fossé, lui-même soutenu par un mur vertical. Par ailleurs, le flanc gauche de la caponnière est enveloppé d'un haha de 4 m de profondeur coupant toute communication entre la route et le fond du fossé de la partie nord du front.

La caponnière elle-même est constituée par un bâtiment parallélépipédique casematé de 20 m x 12 m, à un seul niveau surmonté du matelas de terre protecteur. Intérieurement, elle est divisée en deux:

- à l'est, le passage d'entrée du fort, tunnel rectiligne dans l'axe de la route

- à l'ouest, les chambres de tir des pièces de flanquement et locaux de défense.

L'entrée du fort est organisée comme suit : le flanc gauche de la caponnière comporte, à l'ouest, un grand orillon rectangulaire. Entre cet orillon et l'escarpe du fort est bandé un grand arc surbaissé de 7 m environ d'ouverture et 7 m de longueur de génératrice formant visière de protection du pont mobile et du mur de flanc contre les coups plongeants venant du sud dans l'axe du fossé.

Cette visière couvre complètement le haha et le pont.

En venant de l'extérieur, la route longe, donc, le pied de l'escarpe et se présente face au flanc gauche de la caponnière, percé à l'est de la porte du fort et à l'ouest du créneau du canon-révolver et d'un long créneau vertical à ébrasement gradiné, l'un et l'autre prenant d'enfilade la route et, par dessus, la partie sud du fossé.

Sous la visière, la route se heurte au haha et le franchit sur un pont roulant latéral pouvant s'effacer dans l'escarpe, démasquant une coupure de 3, 6 m de large et 4 m de long.

Pont roulant d'entrée. Vue de dessous du tablier prise par en dessous, depuis le fond du haha. A gauche, porte du fort.Pont roulant d'entrée. Vue de dessous du tablier prise par en dessous, depuis le fond du haha. A gauche, porte du fort.

Ce pont consiste en un tablier en charpente métallique, assemblage de six poutres longitudinales (IPN de 260) et deux transversales, assemblées par goussets et équerres rivetés, et porté par quatre galets (deux de chaque côté) solidarisés deux à deux par des essieux et roulant sur des rails transversaux logés dans des feuillures des culées. Les poutres centrales sont contreventées par des fers en diagonale et celles latérales par les supports d'essieux. C'est en quelque sorte un véritable chariot.

Le tablier porte un platelage en bois, et à droite, un garde-corps pliant, en fer, qu'on rabat pour effacer le pont.

Local d'effacement du pont roulant. Treuil et chaîne de traction.Local d'effacement du pont roulant. Treuil et chaîne de traction.Le pont s'efface latéralement par une étroite ouverture horizontale ménagée dans l'escarpe sous l'action d'une chaîne double entraînée par un treuil à tambour scellé au mur de fond de l'étage inférieur d'une casemate d'escarpe. Ce treuil peut se manœuvrer directement à l'aide de deux manivelles et, en cas de coincement, de barres ; mais on peut le manœuvrer également à partir de l'étage supérieur du même local, à l'aide d'une transmission verticale dotée également de deux manivelles. Il faut 16 tours de manivelle pour obtenir le déplacement du pont d'un mètre.

Sur le mur d'escarpe est gravée l'inscription « 4000 kgs sur un essieu ».

L'entrée elle-même est une baie en arc surbaissé de 3 m de large et à peu près autant sous clef, fermée, en façade, par une porte-grille en fer à deux vantaux pivotant à l'intérieur, dont l'un muni d'un portillon à personnel. Cette porte est construite en ferronnerie solide et soignée: cadre en fers carrés pleins de 0,04 à lisse haute cintrée au profil de la baie, assemblages renforcés d'équerres vissées, remplissage en barreaux ronds pleins, bras de force etc. Le tout en bon état.

Caponnière de gorge, passage d'entrée. Porte principale. Vue postérieure.Caponnière de gorge, passage d'entrée. Porte principale. Vue postérieure.Quelques mètres plus loin, on rencontre la porte proprement dite, à deux vantaux pivotant vers l'extérieur, de manière à s'appliquer sur son appui sous l'effet du souffle d'une explosion ou de choc en cas d'attaque. Les vantaux sont en bois plein, doublé extérieurement de tôle et sont renforcés de pentures à équerres pattées, le tout assemblé par boulons à tête ronde, et pivotant sur une crapaudine et deux gonds scellés dans les piédroits. Un des vantaux est également muni d'un portillon, les deux sont percés, chacun, de deux créneaux de fusillade obturés par volets basculants munis de loquets. Ils comportaient, en outre, à la base et à l'opposé des gonds, des galets-supports (supprimés à une date inconnue) roulant sur des circulaires en fer plat scellées dans le sol. A ce détail près, le tout est en très bon état.

Le passage d'entrée est, en outre, battu latéralement, à l'extérieur, par un créneau horizontal ménagé dans l'orillon et, en vis à vis, par un autre servi depuis le local d'effacement du pont roulant. Intérieurement, entre les deux portes, un autre créneau, servi depuis l'intérieur de la caponnière, bat le vestibule.

Les autres locaux intérieurs de la caponnière, desservis par une porte à partir du passage d'entrée, consistent en une casemate centrale perpendiculaire à l'escarpe et fermée, du côté du fossé en tête de caponnière par un mur percé d'un créneau de pied surmonté de deux créneaux verticaux. Dans cette casemate débouchent, à droite et à gauche, opposés dos à dos mais décalées pour correspondre au décrochement du plan décrit plus haut, les chambres de tir des canons-révolvers battant les deux moitiés nord et sud du fossé du front.

Le renforcement de l'organe, prévu en 1912, n'ayant pas été commencé, les locaux ont conservé leurs voûtes et on peut, de la sorte, en apprécier la stéréotomie.

De la casemate centrale, un court tronçon de couloir dessert un escalier à vis desservant, en sous-sol, un passage menant à une poterne située sous la porte principale du fort, et ouvrant dans le fossé diamant.

Un autre tronçon de couloir pénètre de plain-pied dans l'épaisseur de l'orillon, menant à une petite pièce desservant deux feux de créneaux battant d'un côté, sous la visière, le pont roulant et de l'autre, le fossé principal en tête de caponnière.

De ce côté, on remarque, à l'extérieur, depuis le fossé, des avant-becs entre créneaux de pied (comme dans la caponnière nord) pour réduire la zone privée de feux au pied de l'escarpe.

Du passage d'entrée, en face de l'accès à la casemate centrale, une porte dessert une série de locaux logés dans l'escarpe et constituant, avec la chambre d'effacement du pont, une galerie de fusillade. De là un escalier monte à l'étage supérieur, d'où un tronçon de galerie rejoint les locaux du massif central, et un autre mène à une sortie à air libre sur le chemin de ronde.

Enfin, en dehors de la caponnière, dans la contrescarpe, le long de la route d'accès on trouve trois casemates accolées constituant le corps de garde extérieur, lié à l'avant-porte grille. Ainsi placés, ces locaux sont parfaitement défilés.

Au-dessus est aménagée une place d'armes parfois appelée «ravelin ». Cet organe, l'entrée et toute la zone alentour démontre la maestria avec laquelle le chef de chantier a réussi à résoudre le problème très difficile posé par un espace restreint bordé de pentes très raides en restant dans le cadre d'une solution simple et commode.

Du point de vue décoratif, la façade principale de l'édifice, quoique très sobre, a été traitée avec une recherche conforme à la tradition pluri-séculaire d'ornementation des entrées des places fortes. L'arc surbaissé de la visière est formé, en tête, d'un rang de claveaux rayonnants en pierre de taille à bossage. Cet arc porte un pan de façade en opus incertum surmonté d'un entablement avec corniche à cimaise sur modillons à pans coupés. La frise porte gravée en majuscules romaines (lettres de 20 cm) l'inscription 1883 * FORT DU BARBONNET * 1886. Au-dessus, un mur d'acrotère en pierre de taille masque le massif de terre protecteur dans le sommet duquel est implanté, au sommet, une des six guérites-observatoires prévues au programme de renforcement de 1912.

La visière s'appuie, à l'est, sur l'escarpe de gorge par l'intermédiaire d'un pilastre d'encoignure et à l'ouest sur l'orillon. Ce dernier est encadré de deux pilastres d'angle appareillés en assises réglées à bossage. Entre ces pilastres, le pan de muraille est appareillé en bossages continus en table, à intervalles égaux à la moitié de ceux des pilastres. Le tout reposant sur un soubassement en assises réglées est surmonté du même décor que la visière adjacente.

Sur la tranche du pilastre est, au niveau de la frise, on lit, discrètement, gravée en petites lettres l'inscription « Azibert-Capitaine », signature du constructeur du fort, comme il l'avait déjà fait au fort de la Croix de Bretagne. Systématique en Allemagne à la même époque (forts de Strasbourg), cette signature est extrêmement rare en France, car très mal vue des échelons supérieurs, généraux, inspecteurs généraux du génie en particulier.

Cette façade montre, en partie haute et au raccordement avec l'escarpe, des traces d'impacts et d'éclats d'obus provenant vraisemblablement des combats de 1944.

Locaux intérieurs du fort

Cour et extrémité nord-ouest du massif central. A gauche, entrée du passage central.Cour et extrémité nord-ouest du massif central. A gauche, entrée du passage central.Après avoir franchi l'entrée et traversé la caponnière de gorge pour pénétrer dans l'enceinte, la route d'accès monte en rampe derrière l'escarpe du front de gorge, en longeant le mur de soutènement ouest du massif central. Après un coude elle aboutit dans la cour nord-ouest, bordée au nord-ouest par le mur à bahut de l'escarpe et fermée, au nord-est et au sud-est, par les façades de plusieurs casemates à un seul niveau.

De gauche à droite, ce sont :

- au nord, la casemate 42, logée sous le prolongement nord du massif central. La paroi nord-ouest de cette casemate, percée d'une fenêtre - d'où un très bon éclairage du local- surmonte l'escarpe du front nord-ouest

- à droite, le débouché gauche de la grande gaine de circulation est du massif central et, à côté, la casemate 43 (magasin du génie) à plan en quart-de-rond

- au sud-est, et perpendiculaire à celui des bâtiments précédents, un alignement de façade avec, au centre, le débouché, en plein-cintre, de la gaine axiale du massif central prise entre les casemates 44 (forge) et 41 (latrines de guerre de la troupe). Dans la cour nord-ouest, tourelle de mitrailleuse par éléments modèle 37 (n° inconnu) récupérée non loin de là et restaurée.

En empruntant la gaine axiale, on longe, à droite et à gauche, des casemates aveugles dont les magasins au charbon et aux liquides (le magasin aux liquides (45) comporte, en sous-sol, un ensemble de caves constituant les «magasins aux viandes» et « aux salaisons ») et, surtout l'atelier de chargement (48) des munitions et le magasin aux fusées (49) locaux particulièrement sensibles, pris entre deux couloirs et dotés des cages à lanternes extérieures règlementaires desservies à partir de la galerie transversale nord du massif central (sous la branche ouest de cette transversale, citerne de 62 m3).

Cour centrale. Vue d'enfilade prise du sud.Cour centrale. Vue d'enfilade prise du sud.Celle-ci traversée à angle droit, on débouche par le petit côté nord dans la longue cour rectangulaire centrale du fort (6 x 54 m). Cet espace fermé a son grand axe orienté nord-ouest-sud-est (mont Ours) de façon à éviter tant que possible de ficher dans une direction dangereuse et d'être pris en enfilade. Les longs pans sont constitués par les façades des deux corps de bâtiment à simple rez-de-chaussée groupant les casemates principales du fort et qui, placés en vis à vis, se défilent réciproquement au 1/4 tout en donnant assez d'air et de lumière aux locaux (disposition usuelle dans les forts d'arrêt). On note que la largeur de la cour (> 5 m) exclut la possibilité de la couvrir en rails en temps de guerre.

Chaque corps de bâtiment est constitué de 8 casemates accolées de 6 m de large x 10,5 m de long environ, séparées par des piédroits d'un peu plus d'1 m d'épaisseur, voûtées en berceau surbaissé au 1/5e, d'environ 1 m d'épaisseur et surmontées du matelas de terre protecteur de 2 à 3 m.

Ces casemates sont fermées, côté cour, par un mur de façade et sont desservies, à l'opposé, par un large couloir de fond en demi-berceau remplaçant la rue du rempart et servant à la fois de circulation et de gaine d'assainissement : de ce côté les casemates sont simplement isolées par une cloison vitrée à partir d'1 m avec, au milieu, une porte.

Cour centrale. Extrémité sud : passage central et au-dessus fenêtres des locaux de commandement.Cour centrale. Extrémité sud : passage central et au-dessus fenêtres des locaux de commandement.Les façades, par contre, en solide maçonnerie disposée en opus incertum, sont percées au centre d'une porte rectangulaire à linteau droit en pierre de taille sur modillons surmonté d'une fenêtre-imposte couverte en arc segmentaire.

La porte est encadrée de deux fenêtres couvertes de même et munies de croisées vitrées à la française. Les joues des baies donnant sur l'extérieur comportent, scellés, des fers U destinés à recevoir des fers I de 160 x 60 séparés par des taquets soudés de 2 cm qu'on empilait, lors de la mise en état de défense, pour blinder les ouvertures contre les éclats tout en laissant filtrer un peu de lumière et circuler l'air. (Les profilés de blindage, normalement stockés à proximité des baies à protéger, ont disparu, à part quelques éléments destinés aux fenêtres des casemates d'extrémité, ainsi que des « chapeaux » ou éléments de blindage supérieurs à extrados courbe destinés à couronner la pile).

Cour centrale, extrémité sud.Cour centrale, extrémité sud.Entre les casemates, dans l'axe des piédroits, la façade est percée, assez haut, d'œils-de-bœuf circulaires, à claveaux rayonnants extradossés en gradins, servant de débouchés aux voûtains occupant les noues des voûtes principales. La façade elle-même est couronnée d'une corniche droite très simple en pierre de taille portée par des modillons et surmontée d'un mur d'acrotère rainuré en caniveau: les eaux de pluie sont évacuées par des descentes en fonte cannelée terminées au pied par une bouche figurant un dauphin: cette disposition est d'origine et reflète un souci ornemental évident.

Les casemates d'extrémité font très légèrement saillies sur le plan de façade: leurs portes sont plus larges que celles des travées courantes, par contre les fenêtres sont plus étroites et couvertes en plein-cintre. Cette disposition indique une possibilité d'utilisation du local en magasin. Tout le corps du bâtiment est (8 casemates) était affecté au logement de la troupe. Compte tenu de la longueur disponible, sans passage entre chambres, on obtient, avec les lits de casemate modèle 1876 (ces lits ont également disparu, peut-être réutilisés dans les ouvrages de la ligne Maginot voisins, où par raison d'économie sur les dépenses d'équipement, on en retrouve beaucoup) une capacité de 40 hommes par casemate, soit un total de 320 hommes pour le fort, cadres, blessés et malades non compris. Le chauffage était assuré, par casemate, par un poêle central à charbon, dont le conduit de fumée percé dans la clé de voûte débouche dans le terre-plein supérieur, par un tube de fonte.

Le corps de bâtiment ouest est identique au précédent, mais adapté aux installations logistiques d'une part, au logement des cadres d'autre part. Les casemates communiquent entre elles par un passage piétonnier obturé ou non, ménagé dans les piédroits au 1/4 de la façade. Les casemates sont un peu plus longues (12 m) et divisées, selon les aménagements par des cloisons vitrées.

Caserne centrale. Casemate  n° 28 : cuisine de troupe, fourneau.Caserne centrale. Casemate n° 28 : cuisine de troupe, fourneau.Du nord au sud, la première casemate abrite à l'avant la cuisine de la troupe et, à l'arrière, celle des sous-officiers. Elle possède encore le fourneau de cuisson, marque « François Vaillant » n° 1, en fonte, avec plaque portant la date de 1885. L'appareil, en assez mauvais état (plusieurs portes en façade manquent) est adossé à la cloison transversale coupant le local. Il possède encore son double conduit de fumée, et les bossoirs destinés à la manutention des marmites : en tout état de cause, la restauration de cet appareil authentique est possible, spécimen devenu rare des productions d'une firme aujourd'hui disparue (à Vadonville, près de Commercy, dans la Meuse) qui avait, après 1870, développé toute une série de modèles adaptés aux besoins de l'armée, lors des grands programmes de casernements et de forts jusqu'à la ligne Maginot incluse.

Casemate n° 26 (boulangerie). Vue des fours.Casemate n° 26 (boulangerie). Vue des fours.La deuxième casemate est entièrement consacrée à la boulangerie (26) avec, au centre, deux fours à pain (180 rationnaires chacun) complets et en bon état. Les inscriptions venues de fonderie sur les garnitures métalliques indiquent :

- four de droite «Virette - Jomeau - Neveu et successeur - Serrurier mécanicien» 30, rue du Bourg Tibourg - Paris

- four de gauche « Maison Jomeau - C. Schivre successeur» (même adresse)

- au-dessus « Virette - Serrure spéciale pour la boulangerie» (même adresse).

La partie du local située derrière les fours est affectée à la paneterie (27).

La troisième casemate (25) est affectée au logement de sous-officiers.

La quatrième (24) affectée, elle, aux officiers (sauf le commandant du fort) avec, délimités par des cloisons translucides, 4 boxes individuels, laissant disponible, en façade, un espace à usage de salle commune.

Sous cette pièce existe (24') en sous-sol une citerne à eau de 148 m3, alimentée par les eaux de pluie (réalisée d'abord avec des citernes alimentées par les eaux de ruissellement des chapes, le fort a été, assez tôt, alimenté par une station de pompage installée au col Saint-Jean sur une source captée (étude transmise le 27 mars 1887)).

La cinquième casemate (23) bibliothèque et bureau de batterie est affectée, en temps de guerre, au logement d'officiers et comporte cinq boxes. Sous cette casemate, on trouve une seconde citerne enterrée de 298 m3.

Les sixième, septième et huitième casemates constituent l'infirmerie du temps de guerre avec, dans la casemate 20, deux boxes enfermant l'un (22) la cuisine des officiers, l'autre (21) la tisanerie.

On notera le souci de sécurité ayant conduit à placer les citernes sous les locaux affectés aux officiers.

Le petit côté sud de la cour correspond au rez-de-chaussée à la deuxième galerie transversale de circulation reliant les deux couloirs de fond des casemates et desservant l'entrée du magasin à poudre, un escalier tournant montant sur le terre-plein supérieur, et le corridor menant directement à la caponnière de gorge.

Au-dessus, au premier étage, trois petites casemates en alignement constituent les locaux de commandement (fig. 59) (bureau du télégraphe (50), bureau (51) et chambre (52) du gouverneur). Ces locaux prennent jour sur la cour par quatre fenêtres dont deux, au centre (51) couvertes en plein-cintre et surmontées d'un cadre circulaire, en relief, ayant renfermé le cadran d'une horloge aujourd'hui disparue.

Eléments décoratifs: on remarque sur le petit côté nord de la cour, au-dessus de la sortie de la gaine axiale une plaque de marbre blanc avec l'inscription gravée «Honneur et patrie ». Par ailleurs, les linteaux des portes des casemates des deux corps de bâtiment portent tous, gravé, le nom d'un illustre défenseur de place forte : les locaux ont été ainsi baptisés dès l'origine par le capitaine Azibert, féru d'histoire de la guerre de siège, qu'il devait d'ailleurs enseigner à l'école de Fontainebleau en 1896 et 97. Ainsi trouve-t-on, dans le bâtiment est, du nord au sud: Boufflers – Calvo - Chamilly - Daumesnil - Davout - Denfert - d'Essé - Dubreton.

Dans le bâtiment ouest, même ordre : Les bourgeois de Saint-Jean de Losne - Rey - Montluc - Masséna - Laubanie - Guise - du Fay - Dugesc1in.

Le petit côté sud portait, au-dessus du débouché de la gaine axiale, une autre plaque de marbre actuellement manquante (inscription non connue).

Sols : il y a lieu de noter que les cours, les communications et les différents locaux ont leurs sols revêtus en matériaux durs (chapes de ciment ou pavage). La cour centrale comporte des trottoirs et des caniveaux, avec près de chaque porte de casemate un gratte-pied métallique. Seule la rue du rempart sud n'est pas revêtue.

Magasin à poudre. Vue de la chambre à poudre prise de l'entrée. Au fond, fenêtres des lanternes d'éclairage intérieur.Magasin à poudre. Vue de la chambre à poudre prise de l'entrée. Au fond, fenêtres des lanternes d'éclairage intérieur.En empruntant, à nouveau, la gaine axiale, on longe à droite le magasin à poudre dont l'entrée du vestibule se trouve sur la gaine transversale.

Ce magasin est tout à fait conforme aux prescriptions de l'instruction du 22 août 1874 avec chambre à poudres de 6 x 14 m environ (56 à 60 tonnes de capacité) voûtée en berceau, vide sanitaire général en sous-sol, chambre à lanternes à l'extrémité sud et galerie d'assainissement du côté ouest (à l'est, le rôle en est tenu par la gaine axiale du fort). Seul, le vestibule est simplifié et simplement voûté, sans comporter la courette et l'escalier règlementaires.

De l'autre côté de la gaine axiale (à gauche) on trouve la porte d'accès au magasin à poudre caverne type 1888, creusé sous le fort entre 1889 et 1891 pour mettre en sécurité les poudres et remplacer le précédent magasin, dont la protection était devenue illusoire depuis la crise de l'obus torpille de 1885.

Le passage, fermé par une porte-grille, dessert le palier supérieur d'un puits cylindrique de 12 m de haut, voûté en cul-de-four et enfermant un escalier tournant, suspendu autour d'un vide central servant au hissage, à l'aide d'un treuil à main placé sur le palier supérieur, des munitions provenant du magasin.

Cet escalier aboutit, 12 m plus bas, à un tronçon de galerie rectiligne d'une vingtaine de mètres desservant, à droite, l'alvéole (73) du magasin à poudre (4,30 x 9,90 m) avec vestibule et (71) celui du magasin aux détonateurs et aux projectiles charges. En face, deux niches servent d'atelier d'amorçage (69) et de niche aux fusées, étoupilles et amorces (68). Comme déjà dit, on notera la différence de capacité entre l'ancien et le nouveau magasin qui semble signifier une réduction des dotations entre 1886 et 89. Par ailleurs on ne peut que souligner l'esprit d'économie avec lequel ont été exécutés ces travaux : normalement, les magasins-cavernes sont munis, dans le nord-est et sur les côtes, de deux accès distincts : une descente à personnel et un puits, doté d'un monte-charge normal sous abri bétonné. Ici les deux sont fusionnés et le monte-charge réduit à un simple treuil de chantier sous carapace de protection : il eût été peu onéreux, ne serait-ce qu'en employant les mineurs militaires, de prolonger la galerie jusqu'à l'escarpe du front de gorge pour constituer une véritable entrée des munitions.

Dans l'état actuel des dispositions, on imagine combien devait être lente, pénible et dangereuse la descente des lourds obus de 43 kg, des caisses de poudre et de détonateurs, puis, ensuite, leur remontée pour le tir.

Aussitôt après avoir dépassé le magasin à poudre, la gaine axiale effectue un tournant à gauche de 180° pour venir se raccorder au couloir de fond du corps de casemate est du massif central. Au début de cette courbe, elle dessert une casemate abritant des latrines de guerre (55) puis, à droite, un passage couvert débouchant à air libre sur la batterie sud du fort.

Ce tronçon de galerie, long d'une douzaine de mètres dessert, à droite, le magasin à munitions (57) de la tourelle sud et, à gauche, l'entrée principale de la tourelle elle-même. Cette partie a été renforcée en 1913-14 en même temps que la collerette de la tourelle, les voûtes remplacées par une dalle de béton armé, et le débouché sur la batterie sud refait en béton en chicane pour éviter l'enfilade.

Dans la partie tournante de la gaine axiale s'ouvrent, à droite, l'entrée secondaire des locaux de la tourelle sud puis la descente de la caponnière sud.

Les tourelles

Elles sont, donc, situées à droite et à gauche, en avant du massif central, adossées en quelque sorte à son terre-plein de façon à ne pas se profiler sur le ciel, ce qui limite leur champ de tir en direction et empêche le tir de concentration.

Tourelle nord. Les deux pièces. Vue antérieure prise à travers le bâti de la coupole.Tourelle nord. Les deux pièces. Vue antérieure prise à travers le bâti de la coupole.Il s'agit des derniers exemplaires (S et T) posés des 25 « tourelles tournantes en fonte dure pour 2 canons de 155 L mle 1877 » mis au point par le commandant Mougin vers 1875-78, et faisant partie de la première génération d'engins cuirassés conçus et réalisés en France. Particulièrement indiqués pour les forts d'arrêt ayant une mission d'interdiction, ils constituent l'armement principal du fort.

Les deux engins sont conformes au modèle originel, mais on a supprimé, en 1907, les machines à vapeur assurant la rotation continue pendant le tir. Les collerettes en béton ont été reconstruites en 1913-14 en béton armé sans modification des substructions (contrairement à Frouard et Pont-Saint-Vincent).

En 1931-32, on les a dotés de « gouttières pare-éclats » conçus après 1901 et dont l'installation était déjà prévue en 1913. Dans la foulée, on a procédé à l'électrification de la rotation et de la ventilation, avec pose d'un caisson d'étanchéïté sur les sabords et de portes étanches aux entrées des locaux.

Les tourelles (comme les principaux organes du fort) ont été baptisées par le capitaine Azibert : la tourelle nord (« S ») : « Jeanne d'Arc » et la tourelle sud (« T ») Bayard.

Actuellement, la tourelle nord est complète et en excellent état. La tourelle sud a été désarmée vers 1970 et un peu délaissée: il manque les tubes et un certain nombre de pièces mécaniques.

Les substructions sont à peu près identiques, et constituées par trois niveaux de locaux circulaires superposés.

L'étage supérieur est le puits abritant la tourelle, avec rebord renforcé par l'avant-cuirasse ou blindage fixe en tranche sphérique, en fonte dure, formant margelle.

L'étage intermédiaire, à voûte surbaissée épaisse en béton portant la presse hydraulique et la circulaire de rotation de l'engin abrite un premier lot de munitions. Il communique avec le précédent par un monte-charge (électrifié vers 1932) à munitions logé en niche dans la paroi, et le passage de la chaîne de rotation.

L'étage inférieur, de plain-pied avec les autres locaux du fort a été en partie aménagé en P.C. de bloc.

L'accès à ces différents locaux se fait par une grande gaine radiale ascendante de 2,50 m de large, partant de la galerie principale du fort et abritant, superposés, les escaliers menant à l'étage supérieur et à l'étage intermédiaire, ce dernier à largeur réduite pour laisser passage au couloir de l'étage inférieur.

La dalle couvrant cette galerie se raccorde avec le massif de béton de la collerette.

Décalée de 60° à gauche par rapport à la précédente, on trouve à chaque niveau une autre série de locaux rectangulaires de 2,50 m de large à usage d'abris et magasins ouvrant dans les locaux principaux.

Tourelle nord. Etage supérieur. Détail. A gauche, gouttière pare-éclats, partie fixe et mobile. A droite, bâti de la tourelle, chaîne de rotation et poulies de renvoi.Tourelle nord. Etage supérieur. Détail. A gauche, gouttière pare-éclats, partie fixe et mobile. A droite, bâti de la tourelle, chaîne de rotation et poulies de renvoi.

On y trouve, en particulier, à l'étage intermédiaire, le mécanisme de rotation de l'engin. Les trois niveaux communiquent dans la tourelle sud par un escalier métallique tournant intérieur et, dans la tourelle nord, par un escalier tournant, en pierre, à volées droites logé dans une cage hors œuvre.

Ces locaux annexes communiquent, à l'étage inférieur, directement :

- à la tourelle sud, avec la bouche d'extrémité de la gaine axiale

- à la tourelle nord, avec l'ancienne descente de la caponnière (fig. 78), à hauteur du monte-charge creusé en 1928-29 en travers de la galerie, après condamnation de celle-ci, pour constituer une communication mieux protégée avec la caponnière nord pour le ravitaillement en munitions de la tourelle, qui ne disposait pas de magasin renforcé particulier, comme son homologue sud.

Abris du front est

On a vu que la batterie est de la crête d'artillerie, qui fait face à la trouée de la Bévéra était coupée, de deux en deux, par des traverses-abris enracinées.

Ces organes diffèrent, dans une certaine mesure, de leurs homologues usuels : le vaste local intérieur de l'abri (6 x 15 m) voûté en plein-cintre (H.S.C. : 3, 30 m) s'ouvre largement à l'arrière sur le couloir de fond du bâtiment est du massif central. A l'avant, des cloisons délimitent à l'intérieur deux petits locaux aveugles pour le personnel et les munitions de la journée.

Les étroits bras de traverse donnant accès, latéralement, aux plateformes des pièces, sont remplacés par de larges sorties ascendantes de plus de 2 m de large, munies d'escaliers dont on s'étonne qu'ils ne soient pas complétés de rampes pour hisser les pièces, et dont les baies sont munies, en bas, de portes-grilles à vantaux pivotants.

En organisant ainsi la crête d'artillerie de ce front, le projeteur a pu, pour gagner de la place, supprimer la rue du rempart, et la remplacer par le couloir de fond du massif central, assurant, de la sorte, un système de circulation générale du matériel et des hommes par galeries à l'épreuve, sans avoir à s'exposer au dehors.

A gauche, l'abri 61 (comme la plupart des locaux du fort, les abris-traverses ont été baptisés: de gauche à droite « Bisson » - « Bobillot » - « Dutertre » et « Fortunas »), à l'extrémité de la batterie, ne comporte qu'une sortie à droite.

Le front est, vue d'enfilade. Au premier plan, traverse 63 et sa guérite observatoire. Derrière, traverse 62 et, au fond, la tourelle nord.Le front est, vue d'enfilade. Au premier plan, traverse 63 et sa guérite observatoire. Derrière, traverse 62 et, au fond, la tourelle nord.- Le deuxième abri (62) n'appelle aucune remarque. Le troisième (63) comporte, dans l'axe, une gaine axiale menant, à couvert, jusqu'au chemin de ronde: il s'agit d'un passage protégé permettant à l'infanterie de rejoindre à couvert son emplacement de combat en cas d'attaque.

Le quatrième abri (64), à l'extrémité droite de la batterie, est plus étroit (3 m), ne comporte qu'une sortie à gauche, et a la particularité de comporter, en tête, une brisure d'axe vers la gauche. Le mur de fond comporte un orifice circulaire (bouché) renforcé extérieurement de gradins et d'une visière, et débouchant dans une étroite tranchée du talus du parapet, orientée vers les lacets inférieurs de la route du col du Pérus.

Il semblerait s'agir d'un poste de télégraphie optique, par signaux lumineux, mais sans poste correspondant fixe identifiable. Une autre hypothèse envisage un poste de projecteur photo-électrique de surveillance d'un itinéraire sensible, mais, d'une part le champ offert par la tranchée paraît bien étroit et, d'autre part, on ne distingue à l'intérieur aucune trace de machinerie d'alimentation d'un dispositif de cet ordre.

La disparition d'une grande partie des archives ne permet pas, actuellement, de trancher avec certitude. On sait, toutefois, qu'en matière de transmissions, le fort a été relié assez tôt au réseau télégraphique filaire civil. Il possédait, en outre, un colombier avec Nice, dans le fossé de gorge.

On notera, au-dessus de l'abri 63, la présence d'une guérite-observatoire du programme 1912 enrobée dans un massif de béton enterré dans les terres de la traverse: cette guérite est du type à entrée directe par l'arrière, avec porte.

Batterie sud

Batterie du front sud. Débouché du passage bétonné. A droite, traverse 65.Batterie du front sud. Débouché du passage bétonné. A droite, traverse 65.Contrairement à son homologue est, cette position est desservie par un élément de rue du rempart, accessible à partir du débouché sud de la gaine axiale du fort. Elle comporte deux plateformes pour deux pièces orientées face au sud (col de Castillon) avec possibilité de variante, à gauche vers l'est, et, à droite vers l'ouest.

Les deux plateformes sont séparées par une petite traverse enracinée (65), sans bras, comportant, en sous-sol, une citerne détériorée par les glissements de terrain ayant affecté le site, et inutilisable.

A droite, on trouve, encastré dans le parapet, face à l'est, un petit blockhaus observatoire parallélépipédique en béton armé de 3, 55 x 3, 05 par 2, 65 de haut (parois de 0, 55 d'épaisseur - dalle de 0, 80) muni de deux fentes d'observation, la plus longue face à l'est, une plus petite orientée au sud. Ces fentes comportent des volets métalliques légers. Cet organe, baptisé « Pau » (du nom du général Pau, pressenti en 1911 comme généralissime désigné par le ministre puis écarté au profit du général Joffre ; cet observatoire ne figure pas, non plus, sur les plans du fort), paraît avoir été réalisé, par main-d’œuvre militaire, en 1914, pour doter la tourelle sud d'un observatoire relativement protégé (paradoxalement, les tourelles Mougin, pourtant fortement protégées (blindage de 60 cm à la base de la coupole) ne comportaient pas d'observatoire protégé pour la direction du tir ; ceux-ci devaient être aménagés, à la mise en état de défense, à proximité, et avec les moyens de circonstance (rails, rondins etc.)) pour remplacer, au moins provisoirement, l'observatoire cuirassé prévu en 1912 mais non réalisé à cause de la mobilisation.

Guérites observatoires

On sait que l'installation de six de ces engins avait été admise dans le programme de renforcement de 1912, mais deux seulement avaient pu être posés avant le déclenchement de la grande guerre. Trois autres furent installés à la mobilisation avec des moyens de fortune et un resta disponible, inemployé.

Le front est, vue d'enfilade. Au premier plan, traverse 63 et sa guérite observatoire. Derrière, traverse 62 et, au fond, la tourelle nord.Le front est, vue d'enfilade. Au premier plan, traverse 63 et sa guérite observatoire. Derrière, traverse 62 et, au fond, la tourelle nord.Actuellement, on trouve effectivement cinq engins en place : un au-dessus de la caponnière de gorge (ouest), un au-dessus de l'abri 42, près du saillant nord, un au-dessus de l'abri 63 (front est) et deux à l'extérieur, sur les saillants sud-est et sud-ouest du chemin couvert. Le sixième, toujours disponible, a été enlevé vers 1970 et transporté dans un musée.

Bastionnet nord

Décrochement de l'escarpe du front nord dessinant, en fait, un demi-bastionnet. Dans le flanc gauche, sous la plateforme, on trouve une casemate (60) à deux niveaux séparés par un plancher avec à l'étage inférieur, un créneau à fusil vertical flanquant, à gauche, la caponnière nord.

La casemate 60 était destinée à l'usage de locaux disciplinaires en temps de paix et d'abri de combat en temps de guerre.

Colombarium

Fossé sud. Colombarium (ancienne citerne) 67. Vue intérieure. Vue partielle de face.Fossé sud. Colombarium (ancienne citerne) 67. Vue intérieure. Vue partielle de face.Situé dans la contrescarpe du front sud, il s'agit d'une grande casemate (9 x 4 m) voûtée, avec accès par porte en fond de fossé. Le sol en est très en contrebas de ce dernier.

Cette casemate était destinée, à l'origine, à être une citerne, mais cette destination a été abandonnée très tôt (lettre du 27 mars 1887) pour des raisons actuellement inconnues et le local converti en dépôt mortuaire du temps de guerre.

On y a alors construit des casiers en briques pour les cercueils à 8 étages de 13 rangées, soit une capacité de 104 places.

Bien qu'il s'agit d'un changement d'utilisation, ce dépôt constitue une singularité unique dans la fortification française de l'époque, où le problème des dépôts mortuaires en cas de siège n'était envisagé qu'accessoirement, sous forme d'expédients.

Conclusion

Bel ouvrage, en très bon état, placé dans un site particulièrement pittoresque et d'accès assez facile à partir de la grand route de Nice à Turin par Sospel et le col de Tende. Construit en matériaux de qualité, il a eu la chance de conserver tous les éléments métalliques, entre autres une tourelle de 155 en fonte dure en très bon état et armée, ainsi que ses huisseries, ses fours et son fourneau de cuisine. Œuvre d'un officier connu nominativement - ce qui est rare - il n'a pas été sensiblement altéré par les renforcements ultérieurs. Bien que constituant, bien sûr, un cas particulier lié au terrain, il peut être considéré comme un des meilleurs spécimens d'ouvrage fortifié français du type de 1874 et, à ce titre, à classer en priorité absolue parmi les Monuments historiques.

Après 1870, les membres du Comité de Défense sont unanimes à ranger les Italiens parmi les ennemis potentiels de la France. Ces derniers percent le tunnel routier de Tende et fortifient les alentours. Afin de maîtriser l'itinéraire Nice-Turin par le col de Tende, on décide, à l'instigation du général Segrétain, de retenir le site du mont Barbonnet pour l'implantation d'un fort d'arrêt. Les études sont entreprises par la chefferie de Nice sous la direction du lieutenant-colonel Wagner. Le projet et la conduite des travaux sont confiés au capitaine F. Azibert. Le nom de ce dernier est gravé sur le pilastre de la façade d'entrée de l'édifice. Le plan définitif est approuvé en 1883, les travaux commencent cette même année et se poursuivent jusqu'en 1886. Les deux dates terminus de 1883 et de 1886 sont inscrites sur la façade principale. Le fort est baptisé fort Suchet cette dernière année. Compte tenu de la crise dite de l'obus-torpille, on creuse, en 1891, dans le roc, un magasin à poudre caverne. En 1914, on commence à poser deux tourelles. Des travaux mineurs sont exécutés jusqu'en 1929. De 1930 à 1932, on améliore les tourelles. Ces engins ouvrent le tir durant l'offensive italienne de 1940. Le fort est entretenu jusqu'en 1963.

  • Période(s)
    • Principale : 4e quart 19e siècle
    • Principale : 1ère moitié 20e siècle
  • Auteur(s)
    • Auteur :
      Azibert F.
      Azibert F.

      Capitaine du Génie, actif dans les années 1875-1886. Auteur des projets et maître d'oeuvre des forts de la Croix de Bretagne (Villar-Saint-Pancrace) et du Barbonnet (Sospel), participe à la construction des forts de Paris.

      Polytechnicien, le capitaine Azibert s'était déjà distingué, comme sous-lieutenant, à la défense de Paris en 1870-71 et avait reçu la légion d'honneur au feu. Il devait se révéler, en plus, comme un architecte et un ingénieur remarquable. Considéré comme un de nos meilleurs spécialistes de la fortification, il en sera professeur à l'école de Fontainebleau en 1896-97. Il terminera sa carrière en 1913 général de division, avec l' «aigrette blanche» de corps d'armée, comme gouverneur de Belfort. A la guerre, Joffre le rappelle à l'activité comme directeur des étapes de la 5e armée. Il quittera le service, pour maladie, en 1916 et décèdera en 1924.

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      ingénieur militaire attribution par source, signature

Le plan du fort est un pentagone irrégulier et asymétrique très allongé. L'enceinte est entourée d'un fossé revêtu. L'escarpe est flanquée de trois caponnières, dont deux sont couvertes d'une dalle de béton armé. L'entrée, masquée, est précédée par un pont. Le passage d'entrée, qui prolonge la porte, est voûté en berceau segmentaire. La cour nord-ouest est fermée sur deux côtés par les façades de casemates à un seul niveau. La cour principale du fort, de forme allongée, est entourée, sur ses longs pans, par les façades des deux corps de bâtiment à simple rez-de-chaussée groupant les casemates principales du fort. Chaque corps de bâtiment est constitué de huit casemates accolées et voûtées en berceau surbaissé. Elles sont affectées à des usages logistiques. Le magasin à poudre est accessible par un escalier tournant, suspendu, renfermé dans un puits cylindrique voûté en cul-de-four. Les deux tourelles tournantes sont élevées sur trois niveaux. Quatre abris, dont l'un voûté en plein-cintre, une batterie, cinq guérites observatoires et un colombarium situé dans la contrescarpe sud, constituent les autres édifices du fort.

  • Murs
    • pierre moellon
  • Étages
    en rez-de-chaussée, sous-sol
  • Couvrements
    • voûte en berceau segmentaire
    • voûte en berceau plein-cintre
    • cul-de-four
  • Couvertures
    • terrasse
  • Escaliers
    • escalier dans-oeuvre : escalier en vis suspendu
  • Typologies
    tourelle tournante ; caponnière
  • Statut de la propriété
    propriété publique
  • Intérêt de l'œuvre
    à signaler

Peut être considéré comme un des meilleurs spécimens d'ouvrage fortifié français du type de 1874, son intérêt architectural justifie une protection au titre des monuments historiques.

Bibliographie

  • Les vingt-deux mois d'un lorrain au Mont Barbonnet. Témoignage de René Simon. Rédaction et mise en page par Denis SIMON, fils aîné de René SIMON. Tapuscrit inédit, 42 p.

Date d'enquête 1994 ; Date(s) de rédaction 1997
(c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
Truttmann Philippe
Truttmann Philippe

Lieutenant-colonel du génie, docteur en histoire. Chargé de cours à l'École supérieure du génie de Versailles, Yvelines.

Expert en architecture militaire auprès de l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Réalise de 1986 à 1996 l’étude de l’architecture militaire (16e-20e siècles) de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur : départements des Hautes-Alpes, des Alpes-de-Haute-Provence, partie des Alpes-Maritimes, ensemble des îles d’Hyères dans le Var.

Principales publications : La Muraille de France ou la ligne Maginot (1988)

Les derniers châteaux-forts, les prolongements de la fortification médiévale en France, 1634-1914 (1993)

La barrière de fer, l'architecture des forts du général Séré de Rivières, 1872-1914 (2000)

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